Contre le tribalisme

Le climat sociopolitique délétère qui prévaut au Gabon mérite qu’on tire la sonnette d’alarme. L’une des plaie de l’humaine condition est de désigner l’Autre à travers des généralités, des clichés et autres préjugés. Quand ceux-ci sont instrumentalisés par le politique, l’essentialisation de l’Autre peut donner lieu à des horreurs qu’on ne voudrait pas voir refluer à nos mémoires. L’éditorial du jour revient sur le tribalisme, son essence et ses dangers.

Le tribalisme, ce compagnon discret

Le tribalisme. Qui est-il ? Il est un sentiment en nous de détestation, de soupçon, de rejet d’autrui fondé sur son groupe culturel ; autrement dit son « ethnie ». Ce sentiment, très souvent, ne repose sur rien, si ce n’est des modes d’observation sans rigueur, coupables de généraliser des faits particuliers pour en faire des lois générales dans le but d’expliquer l’Autre, les autres. C’est ainsi que lorsqu’un Nzebi vole, l’esprit tribaliste, dans sa facilité la plus nocive, déduit que tous les Nzebi sont des voleurs même s’il n’a aucune statistique justifiant la totalité de ce groupe culturel en tant que voleur ; lorsqu’un Mpongwè détourne de l’argent public, l’individu tribaliste pensera que tous les Mpongwè sont des prévaricateurs de budget sans tous les connaître, et la chaîne d’erreurs est longue.

Puisqu’il n’a pas de limites, l’émotif tribaliste regarde plus que l’ethnie, il englobe des régions entières. C’est pourquoi si une partie de la population d’une province vote en majorité pour un parti politique, le tribaliste dans son abus de langage, va déclarer que toute la province est acquise à ce parti politique en oubliant toutes les personnes opposées à ce candidat, celles dont les votes sont allés à un ou d’autres candidats. Ces procédés d’appréciation sont légers, nourris de présupposés, et malheureusement mal intentionnés chez certains.

Le tribalisme n’a aucune raison objective, c’est une maladie cousine du repli ethnique cherchant de faux prétextes pour marginaliser, criminaliser, ostraciser et voire d’exterminer son prochain. Celui qui ne nous ressemble pas à cent pour cent. Cette fâcheuse maladie est contagieuse puisque des personnes victimes du tribaliste en deviennent souvent à leur tour. Elles perpétuent ainsi l’injustice, la source de leur malheur.

Ne jamais lire le réel à travers l’ethnie.

Gabonaise, Gabonais, c’est une erreur de chercher nos identités particulières dans le fonctionnement de l’Etat, dans la distribution du pouvoir, dans le recrutement à la fonction publique, dans les entreprises privées, dans le sport ou quelque autre domaine. Nous devons refuser la privatisation ethnique des fonctions administratives, des concours de recrutements, des postes ministériels, de l’entrée dans des écoles de formation… Ces pratiques sont le début de la fragilisation de l’unité nationale (concept galvaudé par nos politiques, il faut le reconnaître) qui, au fil du temps, fera place à un climat de défiance et de méfiance voire de suspicion des uns à l’égard des autres. On reprochera aux gens du Haut-Ogooué de gérer les Finances, on dénoncera le monopole des Woleu-ntémois aux affaires sociales…

L’Etat est la propriété de tous les citoyens gabonais. Il doit garantir leur bien-être sans regarder à leurs groupes socioculturels, à leur foi spirituelle, à leurs opinions politiques. Toute autre aspiration que celle-là serait la porte ouverte d’abord à la frustration ethnique puis à la division avec ce que cela implique comme risque d’implosion.

La « géopolitique », une fausse bonne idée.

L’idée de segmenter l’Etat selon les provinces ou les ethnies est une fausse bonne idée. D’abord, n’y voyons rien d’autre qu’une erreur des gens bien intentionnés. En réalité, lorsqu’on nomme un natif de l’Estuaire premier ministre du Gabon, ses privilèges gouvernementaux ne profitent pas à tous les ressortissants de l’Estuaire car ils ne bénéficieront pas de son salaire, de sa voiture de fonction, de ses primes sauf s’ils font partie des membres immédiats de sa famille ou de son entourage. De la même manière, si un Baoumbou de Malinga devient président de la république, les natifs de cette ville ne bénéficieront pas des honneurs réservés à l’élu…

Ensuite, la géopolitique est une stratégie d’habiles calculateurs politiciens. Ils s’en servent pour se faire élire ou nommer à des fonctions importantes. Ils instrumentalisent le nom de leur province, de leur « ethnie » pour se garantir une place dorée. Quand ils n’obtiennent pas ce qu’ils attendent, ils viennent exciter les populations pour dire « on nous a écartés du pouvoir ». Ils flattent ainsi leur identification à leur culture pour leur faire adhérer à leur cause personnelle.

Enfin, la géopolitique était aussi une méthode de séparation utilisée par les colons ou les dominateurs pour disperser les peuples : diviser pour mieux régner. C’est connu

Nous devons faire cesser tout ceci sans plus attendre et refuser de jouer le jeu des acteurs politiques. Dans tout pays digne de ce nom, un ministre travaille au nom de tout le pays et non à la satisfaction de son clan, de son groupe socioculturel, de sa province, de ses amis. Chacun doit apprendre à domestiquer ses propres élans partisans discriminatoires car personne n’en est à l’abri. Nous devons nous surveiller.

Le tribalisme est dangereux : il tue.

Gabonais ne nous y trompons pas, le tribalisme débouche toujours sur des conséquences désastreuses. Les exemples de sa force destructrice sont nombreux en Afrique. Au Rwanda, il a facilité le conflit entre les Hutus et les Tutsis jusqu’au génocide des Tutsis. En Côte d’Ivoire, il s’est infiltré dans les divergences politiques et a favorisé la guerre. Le Cameroun actuel est le théâtre de tant de tensions où la haine se manifeste sur fond de rejet de l’Autre… Ces beaux pays sont défigurés aujourd’hui à cause de ce monstre discret mais efficace lorsqu’il s’exprime.

Gabonais, Gabonaise, est-ce à cela que nous aspirons ? Nous entretuer ? Nous discriminer ? Sommes-nous si fous à en perdre notre bon sens au point d’exposer la flamme de nos vie à des vents aussi violents que ceux du tribalisme ?

Soyons prudents chers compatriotes.

Parce que le prix de ce pari se paye sur le long terme, il faut s’en méfier comme du diable. Surveillons-nous car le mal est à notre porte, prêt à corrompre nos cœurs pour s’installer au sein de la maison Gabon. Il est dans nos petits gestes quand une femme benga nous trompe et on accuse tous les Benga. Il est dans nos blagues déplacés sur les Kota. Il est dans les clichés sur les Pygmées que certains de nous traitent avec désinvolture alors qu’ils sont des citoyens gabonais à part entière. Il est dans l’événement « Gabon 9 provinces » quand on reproche à certains Fang leur enthousiasme pour cet événement en faisant de la totalité des Fangs des soutiens du régime alors que des ressortissants des autres cultures ont participé à cette dynamique. Il est dans l’amalgame sur les Omyéné que l’on dit friands des caucasiens alors que plusieurs, la large majorité, épousent des non caucasiens…

Gabonais sachons dire non à ce piège. Africains refusons cette condition menaçante. Ayons en mémoire ce proverbe bantou disant toute sa philosophie sociale : « Umuntu ngumuntu ngabantu » que l’on peut traduire comme « je suis parce que nous sommes tous ».

Que Dieu bénisse le Gabon et l’Afrique, tout en maudissant ce diable de tribalisme.

H-W Otata

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