A la découverte de Krugah en attendant le grand Kru
La culture urbaine africaine souffre d’un manque de visibilité d’acteurs indépendants. Cela est d’autant plus regrettable que le fond et la forme des produits de ces artistes sont d’une qualité évidente. Parmi ces talents méritant une exposition médiatique de plus grande envergure, nous comptons Krugah alias Trop Trop black ou Abum Ntoro. Le sociétaire du Black Möm, avec Nhexus alias Popo Brown, oscille entre carrière collective et solo. Le Chant de Powê vous propose une (re)découverte d’une voix singulière à suivre.
Krugah : itinéraire d’un rappeur
Installé en France, ce rappeur gabonais fait ses classes à Libreville. Il était membre du Assid gangsta, une composante du Buckdramma clan avant d’atterrir au sein du Black Möm. Il se distingue par une voix très grave soumise à des variations entre des caractéristiques dites pleines et aigues. A cette vocalité se mêle une vibe impulsive mais maîtrisée permettant de l’identifier à chaque prise de parole rapologique. Il a une double technique fondée soit sur la prononciation et les intonations, soit sur les placements. On lui reconnait également des aptitudes en chant qu’il met à contribution au besoin.
Textuellement, l’homme est plus qu’intéressant. Il s’inscrit aussi bien dans une écriture sociale (cf. CQAD, Classique avec son groupe…) qu’allégorique où les références sont puisées dans des symboles pour dire une réalité (Sméagol, BBC). Les deux faces de son écriture sont agrémentées par une résurgence d’une expression populaire gabonaise construite au moyen de procédés elliptiques. Pour vous dire que « je suis autant gabonais que camerounais ayant grandi au Gabon », Krugah vous dira : « un peu cam beaucoup gaboma ». En très peu de mots, il arrive à signifier diverses idées.
Comme beaucoup de rappeurs de la génération 1980, la scène est un prolongement de l’expression de son art ; il y est très à l’aise. C’est à la force d’une gestuelle au service d’une sélection musicale cohérente que ce rappeur installe une connexion avec le public.
Une autre particularité de Krugah ? Son dépassement de soi lorsqu’il est invité sur des collaborations. Le mwana ne se laisse jamais abuser en honorant ses hôtes de performances abouties (Trap Gabz de Casta, On te donne ça dur de Sipur…).
Henrya Krugah en quelques projets
Sans être exhaustif, s’il nous fallait recommander quelques projets pour découvrir, approfondir, ou redécouvrir Krugah, nous opterons pour trois sorties. Il y a déjà l’album de Black Möm : Black Almöm (2011). Malgré le temps, ce disque garde toute sa pertinence en plus d’offrir un aperçu de capacités de l’artiste. Chacun notera l’osmose de Krugah et sa doublure Nhexus ; un autre talent qui gagne à être connu. Vous serez au contact des titres tels : Coup de grâce (clipé) ; Classique (clipé), Qui aurait pu (clipé) ; S.E.E.G en featuring avec Teko, je vous ai ramené le rap… Et si vous voulez poursuivre l’expérience Black Möm allez y vers la mixtape en écoute libre sur YouTube : Black Market.
En solo, Krugah n’a guère fait preuve d’inertie. Nous vous conseillons la Mixetape Taxi course et le single Entre mythes et origines. Le dernier projet évoqué, mériterait que les médias spécialisés s’attardent dessus. Un disque complet traduisant une réalité sociale plurielle. On y retrouve un hommage aux origines artistiques du rappeur. Le morceau Buckdramma gang explique la vision du rap et les acolytes du micro avec qui tout commence. Le game dit le regard que Krugah pose sur le rap… Il y a aussi une explication sur les rencontres multi-culturelles en amour et leurs raisons : Immigré love… Bref, le projet à de la gueule et du cœur au même titre que le titre BBC.
En 2015 et 2016, on a eu l’opportunité de l’entendre au côté d’Omwana sur deux titres (BDP et Le Faussaire), témoignant d’une conscience politique en rapport avec le contexte Gabonais. C’était l’occasion de le découvrir dans un autre registre de l’engagement.
Krugah aujourd’hui : l’album Kru
Après une pause entre 2016 et 2017 à la suite d’événements personnels et familiaux difficiles, l’artiste est de retour. Un album est en gestation.
Le verdict est attendu pour Septembre 2019. En fait, nous y sommes si les plans demeurent inchangés. La sortie de l’album Kru est imminente. Les fans de la première heure nourrissent beaucoup d’espoir. Des témoignages espèrent réellement le franchissement d’un cap avec ce premier album solo. Leur attente peut se comprendre si l’on prend en considération les extraits mis en ligne et surtout au regard du potentiel du rappeur. Ces derniers témoignent d’un renouvellement au niveau de la création. La musique de leur artiste a évolué sans se dénaturer.
D’abord, en 2017, il faisait un retour intéressant sur Traversée du désert. Krugah laisse transparaître en texte une période compliquée, la perte d’un être cher, l’inquiétude pour la mère, et la nécessité de se réaliser. Chacun l’aura compris, le rappeur se livre plus que d’habitude. La vidéo plus aboutie que ce qu’il a proposé jusqu’ici trouve sa place sur la programmation du site Booska-p, site de rap français de référence.
Ensuite, paraît In lové. Plus d’un furent estomaqués de la direction artistique de la chanson. L’instrumental privilégie une mélodie on aurait dit une balade. Le plus surprenant réside dans la performance de Krugah : il rap-chante ! Le Papakru – autre surnom du rappeur- réussit à mettre sa voix lourde au service de la mélodie sans tomber dans la facilité. Un couplet rap-chanté exécuté sans perdre en sémantique. La thématique est certes connue, toutefois, il arrive à lui donner une fraicheur grâce à sa performance. Les plus avisés apprécieront comment Krugah donne de la couleur à ce titre en y incluant des cris typiques de la culture Ekang (fang) du Gabon ; il avait déjà utilisé le procédé sur CQAD. Le titre est une collaboration avec Don Skin et Nefla. Comme avec Traversée du désert, un clip de bonne qualité donne une plus grande exposition.
Enfin, il y a Trust sur la compilation Ghettobling vol 4 de Black Koba dans lequel Krugah explore une variante de trap d’Atlanta. L’usage de l’autotune est maîtrisé. Sans excès, il vient donner un plus à la voix du rappeur et non masquer des lacunes.
En parallèle de ces innovations, une série de freestyles à la coloration plus rap rassure de la force du genre. Elle est là, aucune crainte à se faire, monsieur sait toujours rapper. Nous en voulons pour preuve : Africain freestyle, Niqi Larson, Popeye.
Tout ceci fait espérer un album original où l’innovation sera en harmonie avec le stable. Nous espérons de l’auteur et son équipe une mise à contribution de ses atouts quand viendra le temps de la promotion. Krugah a l’avantage d’être aux confluents de deux générations musicales via sa musique. La génération 1980 peut s’identifier à lui car il transporte des codes qui leurs sont propres. Les contemporains adeptes de la trap, du rap mélodieux, des vibes grooves de la culture Sud-américaine peuvent se lire dans le virage sonore amorcé. Il y a véritablement une carte à jouer en terme de marketing. Le succès de nos jours à cause de la dictature des maisons de disques devient une porte sacrée. Et des indépendants tel Krugah n’ont d’autre devoir que de la profaner. Que les fans soient mobilisés, l’entourage galvanisé, l’équipe autour de lui au pied de guerre, afin que le communiqué soit passé à toutes les communautés…
Vivement Kru.
H-W Otata