A la rencontre d’Anto
Dans la droite lignée de la mouvance littéraire Powêtude dont ils se revendiquent, les membre du collectif #LoSyndicat viennent de commettre une énième oeuvre singulière: 12 femmes réunies autour de la poésie. Notre chroniqueur vous invite à découvrir la première oeuvre publiée dans la collection que dirige ce collectif aux éditions Dacres.
Il est un temps propice aux rencontres enrichissantes malgré distance et individualisme qui gagnent ce monde toujours un peu plus décadent les jours passant. Je veux évoquer ces découvertes thérapeutiques puisqu’elles suscitent des approbations, soulèvent des questions, apportent des éclairages, et parfois de l’étonnement. Je dois les heureuses retrouvailles à Losyndicat. Il faut dire que je suis initié à leur culturalité depuis quelques années déjà. Ses membres ont obtenu des éditions Dacres un lieu de rendez-vous sous la collection Les Powêtudes.
J’avais ouï dire de la sortie prochaine d’une littérarité exclusivement féminine dénommée Anto ; que les profanes de l’omyènè entendent la femme dans la langue gabonaise. Une annonce qui ne manqua pas de réveiller tous mes sens critiques. Me voici voyeur sondant les médias, espérant apercevoir la tribu amazone dont certains noms avaient par le passé causé des plaisirs textuels ; Barthes sait de quoi je parle. Oui ! On disait Naneth, Nanda, etc., je me sentais frémir. Voilà ! Nous y sommes. Elles sont là toutes offertes à mes yeux, douze plumes soumises à mon métadiscours. J’étais impatient de les embrasser sans retenue le regard dévoreur quand la préface interpella ma raison. Il fallait d’ores et déjà saisir les raisons de ces présences scripturales soumises à nos réceptions. C’est ainsi que l’on me dit qu’elles étaient avant tout « un projet poétique ». En effet, leur présence est :
Femme afro enceinte d’initiatives porteuses de sens.
La tête ronde comme un ventre proche du terme
Chercha sages-femmes pour accoucher d’un être porté
depuis trop longtemps
Les mots plein le ventre
L’amour plein le cœur (A, p.9).
Je reconnais bien là les aspirations esthétiques de plusieurs au sein de Losyndicat : défendre la poésie. Mes futures conquêtes participaient d’un vaste complot connu à l’échelle gabono-africaine ; et peut-être plus. Ainsi, avant d’être des femmes, elles sont d’abord des écritures poétiques. La notion de parité vient après. Losyndicat évite ainsi le piège d’une époque où une dictature oblige à se former sous le signe de la parité homme et femme. La préface toujours dans son préalable discursif précise l’association culturelle sous l’onction « vision et idéal partagés » plutôt que sur le genre. Je perçois dès cet instant l’intelligence à l’œuvre. Au lieu de tomber dans la facilité du recrutement ciblé femmes, les membres de Losyndicat ont fait honneur à la littérature en invitant des voix féminines issues de divers horizons ; pour mon grand intérêt.
Nouvel avertissement de la préface : il sera question de la femme. Qui de mieux instruit que des femmes pour proposer un point de vue original sur les femmes ? Je suis là pour ça. Je veux entendre résonner les mots au service de leur condition, de leur humanité ; huumm ! Belles amazones afro déterminées à poétiser leur féminité au-delà de ce « féminisme radicale à connotation négative » volontaire au rejet de l’homme selon Sylviane Agecinski que Femi Ojo-Ade critique sous l’expression « féminisme beauvoirien » (A, p. 18). Très bien ! Leçon : le masculin n’est point un problème en soi. Il le devient lorsqu’un démon viriliste occupé à mépriser la féminité l’habite ; moralité m’en préserve, éthique m’en éloigne. D’ailleurs, on m’informe que dans ce bal de l’humanité, mener la danse, « je fais, je vais », n’est pas leur objectif. Elles viennent dire à l’homme comment le faire efficacement : « fais-moi ! Touche-moi, emmène-moi ».
La soirée se prolonge. La préface s’en est allée. Je suis devant la tribu… L’affaire est bien rodée pour me séduire. On aurait pu craindre une prise de parole stéréotypée où chacune vient performer et s’évanouir tout le reste de la soirée livresque. Non ! Elles partent et reviennent selon des thèmes motifs : Saveurs infantiles, féminitude, complétude, féminité fardée, poétique du sens, Anto, renaissance des soleils.
Saveurs infantiles ou le monde des êtres en devenir. L’enfance ! Période de l’innocence, de formation, de la constitution des rêves à l’avenir abandonné ou réalisé. Elles parlent d’elles, toutefois, j’ai l’impression de moi. La preuve est que lorsque Sylvie Meviane nous embarque « Sur le chemin… » je revis avec elle ce temps maintenant lointain :
C’était le temps des cœurs enjoués
Sautillant sur le chemin de notre destinée
Libres comme le sable chaud de notre ville
Nous enjambions gaiement les caniveaux (A, p. 24).
Je me sentais dévoilé par ces mots. Plus encore à l’évocation de Port-Gentil par Jessica Ratanga Bourdette. Les omyènès disent « Mandji Y’ami ». Ville-île gabonaise trop souvent pensée par rapport au pétrole, à l’économique, oubliant son charme naturel. Un lieu si spécial qui fait écrire à la poétesse :
Mandji bô
Mandji Yazô
Mandji y’Orema
Mandji yi Pikilia (A, p. 28)
Le souvenir du disparu Chris Ayum, chanteur gabonais, me revint. La nostalgie était à son extase. Originaire de N’djolé, autre cité gabonaise, l’homme tomba aussi sous le charme de la cité. Mes hommages Chris. Ô que trop de tristesse.
Mais passons ! Laissez-moi me saisir de cette féminitude. Laissez Muetsé Destinée Mboga m’écrire la femme :
Noire, ébène, couleur nuit
Aux courbes formant le lit de la vie
Aux formes sinueuses, au corps épanoui (A, p. 58).
Et pour qui oserait remettre en question la beauté de la femme ébène, Bourdette revint dire :
Je suis Noire
Je suis une femme noire
Je suis une belle femme noire
Je viens de l’intérieur de la terre (A, p. 78).
La soirée tenait ses promesses. Elles défilaient toutes aussi intelligentes les unes les autres.
Puis vint l’instant pimenté. Nous devions parler de nous. Elles, femmes, et moi, homme. Toute une complétude. Oui ! Je les lis toutes ; Je suis un polylecteur. J’ai appris de la plume de Muetsé Destinée Mboga que si l’homme était le pouvoir, la femme était son soutien, le cou. Elle me l’affirma en parlant de Nanan : « Nanan m’a dit » (A, p. 92). L’autorité de l’homme chef de famille ne fait perdre aucune valeur à la femme. C’est l’originalité du point de vue de la tribu. Princess’ Zalang d’écrire :
« Sache que l’égalité entre l’homme et la femme n’infériorise aucune des deux parties, mais au contraire les soudes et les rend complémentaire » (A, p. 98).
Une grammaire cohérente maîtrisée à laquelle les Africains doivent se reconnecter afin d’échapper au machisme voilé derrière des traditions. Une imposture, une pseudo-raison, une vérité générale lorsqu’on connait les sagesses. L’homme et la femme sont une dichotomie, un complément de relation directe, un tout cohésif. Machisme qui es-tu ? Masculin-féminin se complètent : complétude ! Condition déplorable.
Aux dames, vous, fardées à cause de la folie de certains. La douleur te prend lorsque les innommables te font le mal. Armelle Nancy Leckouta dit « Aïe » à ton corps « profané » (A, p. 125), aux « massacres de ton intimité » (A, p.125). Des sanglots sincères parce que des géographies peuvent se montrer dysphoriques pour une dame lorsque l’homme devient fou. Ah Kivu qu’ont-ils fait ? Jessica Ratanga Bourdette s’inquiète pour Kimia. Elle espère une maturité loin d’une prise forcée : « Tout, sauf une femme violée » (A, p. 137). Non à la femme faite « serpillière », « prisonnière », au nom de l’or.
Un verre, deux, le réel demeure irrévocable, malheurs, infâme réalité. Quand l’enfer s’invite sur terre, légion immonde frappent corps d’innocentes même le jour, il nuit. Maudit soit-il ! Les possibles masculin-féminin sont si nombreux : pourquoi tenter le diable par le viol ? Les esprits ténébreux sont les plus rétifs. Je préfère contempler l’intérieur et l’extérieur chez une femme, raisons de mes désirs. Toute une poétique des sens. Une heure trente que nous sommes embarqués dans un esquif sensoriel. J’entrais maintenant tout jouissif vers l’univers d’un frisson sur la langue ; Le Presque Grand Bounguili, bonjour. Mesdames dites-moi ces verbes que je saurai voir. Et puis la nuit tombée à son apogée, je préfère la conduite de Dja Tsingue Nzigou me dire l’ « Incendie charnel ». Elle parle de ce feu pour lequel le pyromane est célébré. Que les pompiers restent en caserne lorsqu’une princesse « se sent frémir, bouillir, […] prise de vapeurs ». Majesté se met à chanter : « fais-moi frémir, embrasse-moi en entier » (A, p. 173). Expression artistique de l’intime sans vulgarité, un talent pas donné. Savoir dire l’intime sans virer Marc Dorcel. Naneth dira :
TU FRAPPES !
JE DANSE !
ON CHANTE !
TON cuir et Ma soie dansent parmi les anges (A, p. 187).
Armelle Nancy Leckouta pense que ce sont des « envies de minuit » (A, p.195). Je me tenais devant la tribu. Il faut savoir prendre ce que l’on vous donne. Érotisme est école pour qui veut séduire, combler, une ébène. Ma foi ! Dites cette littérature coquine que je sais dorénavant lire.
La soirée suit son cours au rythme amazone. Dernière danse, musique des mots politiques, d’une langue revendicative. C’est la renaissance des soleils. Oui que l’obscurantisme s’inquiète car la lumière renaît. Dja Tsangui Nzigou appelle la femme au mouvement afin de vivre pour devenir : « femme, va, vis, deviens ! Hymne à la bravoure sortie des embuches machistes, des traditions perverties. A « toutes celles qui luttent » (A, p. 207).
Il est judicieux pour les initiateurs du projet d’avoir établi à travers cette œuvre une sorte de sororité afrocentrée mais qui transcende la simple appartenance épidermique, identitaire ou géographique. Comme une invite à ce que chacun.e s’empare ou revendique à sa manière son bout de l’Afrique. C’est en cela qu’on peut lire les textes « Ma sœur ébène », « Femmes de mon cœur Kivu » de Céline Avice.
Le temps n’est pas une propriété humaine, c’est un instrument divin qui oblige à l’intelligence. Les bonnes choses ont une durée limitée. Je me « vas » sur les sentiers du retour silencieux. Un retour à la vie, non sans l’intention de vivre les enseignements amazones dans le vrai. Todorov ne disait-il pas que la littérature c’est la vie ? Je vis donc laissez-moi vivre.
pour se procurer l’ouvrage: http://www.dacres.fr/livre_anto.html
H-W Otata