A propos de La Liberté est têtue

A propos de La liberté est têtue.

La richesse de la littérature politique africaine n’est plus à démontrer. On peut lui reprocher une exposition moins importante en comparaison à d’autres espaces. Cependant, cela n’enlève rien à l’importance des textes qui paraissent ici et là. Ils sont le fruit d’auteurs engagés sur les chemins de l’essai ou du manifeste, ceci malgré les caprices des grandes maisons d’édition ; idéologie et intérêts dictent plusieurs choix éditoriaux. L’écriture n’est plus fixation d’une pensée sur une sujet par le verbe. Elle est aussi un combat pour qu’elle soit disponible à un éventuel public. D’où l’émergence et le développement de multiples voix alternatives que sont: auto-édition, petits éditeurs, éditions indépendantes…

Brice Parrain voyait les mots tels des « pistolets chargés » avec lesquels on tire. Alors aux armes écrivains ! Le collectif #Losyndicat, un groupe de consciences, vient de mettre en circulation un ouvrage collectif dont les maîtres mots sont explicitement la « liberté » et le « Gabon » sous le titre : La liberté est têtue. Le recueil de notre juste lutte.

Le désir d’une liberté effective

Le lecteur est matinalement instruit à la notion de liberté dès le titre. Elle est cette disposition sine qua non à l’épanouissement de l’homme. Ni le dominateur ni le dominé, encore moins l’homme maître de lui-même, ne peuvent rien y faire. C’est en ce sens qu’elle est « têtue ». Elle est une condition d’existence disant la dignité d’un peuple si l’on s’aligne sur les considérations du chanteur Pierre-Claver Akendengue lorsqu’il dit que : « vivre sans liberté n’est pas digne d’un peuple considérable ». Et le même Akendengue d’ajouter : « tout peuple est considérable ». Le rapprochement avec l’artiste gabonais n’est pas gratuit dont on sait qu’il est une des inspirations de plusieurs membres du collectif. C’est cette marotte, la liberté, qui explique le « recueil de lutte ». Un clin d’œil au rappeur Akhenaton du groupe Iam. Lutter parce que la liberté est une flamme soumise à l’indiscipline des vents forts des pratiques de certains hommes de pouvoir. Ce manifeste politique revient à lutter par les mots contre les maux obstacles du rayonnement de la liberté et des hommes libres.

Biographie et impersonnalité en quête de liberté

On peut regretter qu’au niveau formel les différentes contributions ne soient pas répertoriées en deux mouvements : les expériences de vie, et des discours impersonnels. En effet, les interventions sont soit des appels à la liberté construits à partir des expériences personnelles (biographie), soit des sorties discursives à partir d’une position plus ouverte, où le « je » est inexistant pour devenir intelligemment « nous tous ». Peut-être que cela n’a pas semblé pertinent pour le collectif éditeur, mais ce détail de la forme n’enlève rien à l’intérêt du contenu.

Pour ce qui est du discursif impersonnel, comme signifier plus haut, il concerne toutes les chroniques excluant le pronom « je ». Ce mode d’écriture dénonce la dimension carcérale à travers des événements historiques au Gabon. Larry Essouma pointe un ensemble de faits des années 1960 à nos jours qui tournent autour de la privation de liberté : détention arbitraire, torture physique jusqu’aux séquelles corporelles induites, et malheureusement la mort (pp. 11-30). Pour échapper à ces instants fâcheux, Naelle Sandra Nanda rappelle que la liberté « s’arrache » dans « l’unité » et la « persistance » (p. 33-44). Tel un bien subtilisé, il faudra la chercher pour jouir d’elle. Et Cheryl Itanda de prévenir que même lorsqu’elle n’est pas encore acquise, la liberté n’est que « différée » (p. 89). Elle est au bout d’un chemin parsemé de mouvements sociaux provoqués par un moment décisif et en ce qui concerne le Gabon, c’est le contexte post-électoral 2016 ; question de génération.

Les biographies participent d’une autre méthode même si le but reste la liberté ; résolument têtue celle-là. Le Presque Grand Bounguili[1] mentionne des « épisodes de vie qui, mis en perspective, restituent la condition [des] opprimés » (p.119). Cette phrase en dit long sur les chroniques du « je » pour penser le cheminement vers le bien-être collectif. On part du destin personnel pour penser celui de la communauté. Joelle Mpouho est dans l’optique de ce sacrifice de la condition de « soi » au service du « nous ». Ce qui explique ce rapport de force et surtout de la rupture entre l’oïkos familial, provincial, conjugué en grande partie sur le mode du régime pour lui préférer la résistance avec les gens du peuple (p.76). La liberté pousse à penser contre sa condition politico-matérielle de provenance. Un acte révolutionnaire. Sosthène Bounda n’est pas loin de le penser. Celui pour qui la liberté est d’abord une révolution personnelle ; « ma révolution » (p. 57) pour tous. On engage sa personne en inspiration pour se tenir prêt pour le geste électoral malgré le scepticisme que l’on peut ressentir. Et d’interroger l’agir de l’après vote : que devons-nous faire après la proclamation des résultats dans lesquels nous ne nous reconnaitrons pas une nouvelle fois ? Kevyn-Raphaël Sima prône la résistance au nom de la nation, une valeur « au-dessus de tout » (p. 53). La liberté devient un tout pour chacun. Elle est toute chose qui se rapporte à nous. La « foi » pour Franck Jocktane (p. 107), la « responsabilité morale » (p. 83) pour Lyndsay-Gail Ongoundou. Ces choses qui ont émergé pour dire le ras-le-bol d’un peuple trop longtemps abusé par des slogans sans réelle signification concrète (p.147) comme le suggère à sa manière Early Ndossi Maghoumbou.

Des idées fortes qui méritent qu’on s’y penche.

Précisons que nous ne sommes guère en présence d’une œuvre de science politique. Aucun des contributeurs n’a revendiqué cette prétention. Chacun cherchait à faire jaillir des caractéristiques appliquées à la liberté avec ses armes. Le public en sera le juge au moment de savoir s’ils y parviennent. Ce qui explique que des idées sous-jacentes soient transportées sans être approfondies. Par exemples :

Franck Jocktane évoque une opposition qui pose un problème. Ces gens issus des familles gravitant autour de la famille Bongo non pas par amour, mais par amour du pouvoir (p. 113). En espérant que ce membre de la Dream Team nous en dise un peu plus. Les convergences politiques doivent-elles être déterminées par l’amour ou par le rapprochement dû à un système d’idée et de valeurs ? Ce type d’opposants pose des problèmes pourquoi ? Est-ce le besoin de retrouver des privilèges amoindris par une mise à l’écart ? Qu’en est-il précisément ?

Sosthène Bounda énonce l’expression de l’ignominie des régimes semi-séculaires durant les élections en Afrique (p. 61). Elections qui ne semblent guère avoir les faveurs de l’auteur. Voici un autre sujet à approfondir. Les élections, vitrine d’exposition pour chanter « la démocratie ». Pourquoi sont-elles sources de violence et frustration chez plusieurs citoyens ?…

Nous soulignons donc ici des thématiques qualitatives secondes non exploitées ; des sortes d’invites indirectes à poursuivre des réflexions socio-politiques pour qui le veut bien.

Un ouvrage dans la tradition politique africaine contemporaine.

L’Afrique n’est pas une prison. Nous ne tomberons pas dans cette caricature aussi facile qu’inefficace. Toutefois, des domaines, notamment celui de la politique, de l’économie, de la culture, etc., conduisent à nous poser des questions sur le sens du mot « liberté » sur ce continent. Ce « manifeste »[2] s’inscrit dans une tradition portée sur le désir de liberté, bien remplie par des rappeurs, des politologues, politiciens, etc. On citera Kwame Nkrumah (Le Néo-colonialisme), Bernard Doza (Liberté confisquée…), les revendications des artistes tels Awadi et Deug-T (PBS), etc.

Cela dit tout le besoin de plus en plus pressant d’une liberté totale. Une totalité pour signifier le maximum de personne, dans tous les secteurs, pour toutes les catégories de personne…

Cet ouvrage est donc un acte militant. Les contributeurs ne s’en cachent guère. Il est le résultat d’une soif de liberté, d’une vision différente de celle des hommes en responsabilité qui font le pouvoir gabonais. Il est le fruit d’une année 2016. Celle d’une élection présidentielle à la décision contestée et des événements douloureux qui ont suivi ; cette référence revient dans plusieurs textes du livre.

En somme, le livre est apte à susciter des débats contradictoires et tout lecteur pourrait notamment rester sceptique sur les positionnements des uns et des autres : d’aucuns pourraient légitimement s’interroger sur la crédibilité du divorce idéologique de Joelle Mpouho d’avec son environnement familial : « Posture-posture » ou véritable positionnement ? De la même manière, lorsqu’il pointe du doigt une certaine responsabilité fautive de l’opposition gabonaise. Franck Jocktane semble passer sous silence la démarche de son cadet Mike Jocktane. Enfin, et pour ne pas finir, en faisant la différence entre résister pour un homme et résister pour une nation Kevin-Raphaël Sima aurait peut-être gagné à l’expliciter, exemple à l’appui ; pense-t-il que des compatriotes confondent ces deux approches ?

H-W Otata

[1]             En réalité, ce contributeur pratique un discours biographique et impersonnel. Cependant, il nous a semblé pertinent de le ranger dans cette catégorie à cause de sa manière d’introduire sa contribution.

[2]             Le mot est utilisé avant nous par le Préfacier Amoan Pambo lorsqu’il parle de « manifeste de la désobéissance civile » (p. 9).

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