Interview exclusive du CRC

Album très apprécié par l’équipe de Le Chant de Powê, aussi bien sur le fond (écriture, orientation artistique) que dans la forme (conception musicale), Ces pages qui manquent permet aux mélomanes de découvrir davantage le groupe The Conscious Rhythm Chapter (CRC). Pour le plaisir de nos lecteurs, notre équipe a ouvert ses colonnes à deux membres du crew.

Le Chant de Powê : Bonjour à tous les deux et merci de nous accorder cette entrevue. L’un de vous peut-il nous faire une genèse du groupe CRC : qui le compose, quel rôle joue chacun de vous et comment est née cette aventure ?

Stentor : Déjà merci de nous donner accès aux tribunes de LCDP. Le CRC c’est l’histoire de six MC’s que l’amitié, la fraternité, une passion commune pour le Hiphop, le temps et les circonstances ont unis. Tout a commencé on va dire en 2012, lorsque j’avais sollicité Do pour une collab sur un projet qui n’avait finalement pas vu le jour. Puis, petit à petit l’idée de former un groupe a germé dans nos esprits. C’est ainsi que Farrello qui était avec moi dans l’Hexagone avait vite adhéré au projet, Masta depuis Franceville était plus que chaud, puis Do de son côté, sur Libreville, nous avait connecté avec Eks. Enfin, Jez étant encore au Maroc à ce moment-là, ne nous avait rejoint qu’un peu plus tard. Donc, bien qu’étant quasiment dispersés dans des horizons divers, nous étions sur la même longueur d’onde. Dans la ferveur de tout cela, en 2013 on s’est tous retrouvé sur LBV et malgré la contrainte de temps on a enregistré en l’espace d’un mois le Chapitre Premier, notre premier album qui est sorti en 2016. La même année, on s’est remis au travail, cette fois-ci sans la contrainte du temps et de l’éloignement, pour sortir 3 ans et demi plus tard  ce deuxième album, Ces pages qui manquent. Voilà

LCDP : A ce jour, quels échos avez-vous eu de votre dernier album?

Farrello : Les échos sont multiples. Tout d’abord, le public de manière général qui ne cesse de faire des retours positifs après écoute. Certains ont même déjà des morceaux préférés dans l’album. Ensuite les médias comme le vôtre qui émettent des analyses objectives et pertinentes sur la qualité de l’album en termes de structure et de thématiques abordées avant de le recommander. Les échos sont vraiment positifs et on espère que cela se traduira à travers un bon bilan de vente et de streaming

LCDP : Vous dites « On ne fait pas de rap politique », pouvez-vous préciser ce vers qui pourrait paraître paradoxal par rapport à votre discours qui est quand même marqué politiquement ?

Farrello : Le « On ne fait pas de politique » n’est pas à prendre dans le sens d’aborder un thème politique. Sinon ce serait se contredire car parler du social a déjà thématiquement une part de politique car les deux sont inéluctablement liés. Par cette parole en fait nous nous désolidarisons et dénonçons tous ces artistes qui pour un cachet quelconque s’investissent corps et âme dans la propagande de tous ces politiques pourtant à l’origine de la situation précaire du pays. Car qu’on le veuille ou non l’artiste est un influenceur et à travers le message qu’il véhicule, il peut orienter très facilement l’opinion. A l’heure où les consciences de beaucoup sont endormies, les artistes selon nous ont ce devoir-là de les éveiller en ayant dans leur musique toujours ce côté dénonciateur.

Stentor : Pour abonder dans le sens de Rello, selon moi la fonction première d’un artiste rappeur est de dépeindre ce qu’il se passe autour de lui, de donner des avis, c’est une sorte de journaliste urbain. Entre faire de la politique ‘’politicienne’’ comme on la fait chez nous et prendre position par rapport à cette politique politicienne là, à mon avis c’est deux choses bien distinctes.

LCDP : Quand on parle du rap ou de son évolution, on a tendance à dire qu’il est en déclin. Dans le contexte gabonais que pouvez-vous en dire, comment se porte-t-il, est-ce que tout va-t-il si mal?

Stentor : Déjà,  je pense qu’aujourd’hui on met tellement de choses dans le terme «RAP » que pas mal de gens ne s’y retrouvent plus. Beaucoup s’en revendiquent mais ne le sont ni dans l’approche musicale et encore moins dans le contenu. Je le dis parce qu’il y’a trop de glissement hasardeux que certains font entre genres et catégories musicaux ici, à tel point qu’on confond tout. Maintenant, concernant le mouvement RAP proprement dit, je trouve qu’il y’a comme un vent de fraicheur emmené par les Mcs en présence. Il y a comme une nouvelle scène qui s’installe, fait le pont avec l’ancienne génération et développe ses propres codes. Je pense à tous les crews qui s’activent avec leurs moyens et notamment au Bwiti Gang qui a su cristalliser l’actualité sur eux et fédérer plusieurs artistes dont certains membres du CRC d’ailleurs dans leurs cyphers. Ça favorise les synergies et met en lumière d’autres Mcs. Il faudrait que cet exemple soit suivi d’autres et encore d’autres et qu’au final ça crée une sorte d’émulation d’ensemble. Par contre, si on doit parler de l’évolution du rap gabonais sous le prisme ‘’industrie’’, c’est clair qu’on est à la traine. Sans parler du statut de l’artiste qui ne m’apparait toujours pas clair, y’a des structures qui se mettent place, des plateformes d’écoute et de téléchargements pour vendre nos produits etc., mais tout cela reste encore pâle. Espérons que ça soit les prémices d’une vraie industrie.

LCDP : Est-ce que revenir à l’époque des sound system ou des battles ne serait pas une façon de remettre le rap en particulier et le hiphop en général au centre de la cité ?

Stentor : Je pense que le RAP est déjà au centre de la cité, que le Hiphop est désormais partout et ce n’est pas le seul cas du Gabon. D’ailleurs, c’est devenu viral à tel point que les politiques s’en servent même comme cheval de Troie pour atteindre un public majoritairement jeune, vu que c’est une musique qui leur parle, une musique de proximité. Maintenant, le Hiphop étant une culture, bien qu’on l’ai domestiqué avec nos propres codes, ce serait quand même bien qu’on préserve son côté originel; que ce soit avec des battles de danses, de freestyles, d’ateliers de beatmaking, de deejaying (pas avec virtual dj hein), etc., tout ça dans un esprit sain.

LCDP : Dans vos textes, il n’y a pas vraiment la revendication de l’appartenance à tel ou tel quartier est-ce parce que c’est un vieux discours ou parce que votre crew est diversifié ?

Farrello : On va dire les deux en fait. A l’époque beaucoup avaient ce besoin d’appartenance et de crédibilité en se revendiquant de tel quartier, arrondissement de Libreville ou même de telle ville. Ça peut rendre plus crédible de se revendiquer du 5ème arrondissement par exemple parce qu’on sait que beaucoup de grands groupes de RAP et de Rappeurs légendaires du pays en sont issues. Mais pour nous à l’heure actuelle, la pertinence de notre revendication est plus basée sur le message que nous voulons transmettre qu’autre chose. Aujourd’hui peu importe d’où tu viens c’est d’abord ton contenu que le public va saisir et c’est ça qui va l’influencer. Aujourd’hui effectivement c’est un peu dépassé et en plus vu nos origines diverses (Akébé, Nzeng-Ayong, Beau-séjour, IAI, Sotega, Pk9-10…) c’est plutôt difficile de le faire.

Stentor : Mon quartier c’est l’Afrique, ma ville c’est le monde (rire).

 LCDP : Il y a un fort accent Boom bap et un flow qui nous rappellent les années 1998-2000. Est-ce un hommage à cette période-là ou une façon de se positionner dans un rap hérité de ces grands noms qui l’ont popularisé ?

Farrello : La deuxième option parce qu’en fait en tant que Rappeurs nous sommes tous nés de cette école-là. Vous savez si vous prenez un groupe d’enfant et observez en parallèle leurs parents et les conditions dans lesquelles ils vivent vous vous rendrez rapidement compte que le comportement des enfants et leur culture est très souvent fonction de l’éducation qu’ils ont reçu des parents et de leur environnement. Pour le Rap c’est pareil, les artistes que nous sommes aujourd’hui ne sont que le fruit de cette école et de cet environnement rapologique là. Et pour aller plus loin ce n’est pas forcément quelque chose à prendre au passé parce que c’est aussi actuel.

LCDP : Plaggawan et Nhexus font des interventions remarquables. Qu’est-ce qui a motivé leur présence dans cet album ?

Farrello : C’est des fauves (rires)! Et nous n’oublions pas bien sûr notre Moadzang national en la personne de MC ESSONE (rires). Ça s’est fait sans réel calcul mais disons que lors des écoutes des musiques durant la préparation de l’album à la base avec déjà le nombre que nous sommes c’était déjà compliqué de prévoir trop de collaborations. Après, en écoutant certaines musiques, ce sont ces frères-là qui nous sont directement venus à l’esprit et nous les avons sollicités. Nous en avons sollicité bien d’autres au même moment mais beaucoup n’étaient pas surplace et d’autres n’ont carrément pas pu se rendre disponibles malheureusement. Mwan Ngeb (Plaggawan), Nhex et Essone ont été ceux-là qui se sont vraiment mobilisés pour nous au premier abord. Et nous tenons encore à leur témoigner toute notre gratitude. On est ensemble les gars!!

Stentor : Yep, il faudrait aussi ajouter qu’à côté de tout ce monde visible là, il y a des acteurs qui se situent sur la face immergée de l’album et avec qui la collaboration s’est faite avec le même feeling.  Je pense à Kidmoko, un deejay et rappeur de Poitiers qui nous a gratifiés de scratches bien lourds et à deux autres beatmakers, Chess et Munty qui ont apporté leurs colorations à l’album

LCDP : À l’heure où l’on constate que le rap gabonais (du moins une partie) tente d’intégrer de plus en plus des sonorités et des instruments locaux ou même des expressions typiques du terroir, vous avez fait le choix de beats purement hiphop qui rappellent les « classiques » et dans votre langage, on ne retrouve pas cette coloration locale (argot). Ne craignez-vous pas d’être perçus comme des rappeurs un peu trop occidentalisés ?

Farrello : Pas du tout. Vous savez à l’heure de la tendance, qu’elle soit passée ou actuelle, il y a toujours eu et il y aura toujours des exceptions qui ne suivent pas le troupeau dans une manière de faire à la mode. Nous ne nous inquiétons pas de ne pas être saisis parce que nous ne nous exprimons pas dans un argot prononcé (l’argot du bangando, rires!!). Même s’il a beaucoup évolué, l’argot a toujours existé et tous les artistes qui ont marché n’ont pas toujours eu à s’exprimer systématiquement de la sorte. Nous c’est pareil, tant que quelqu’un nous saisit et apprécie c’est le plus important. Tout le monde n’est pas bangando (rires).

Stentor AmaZulu : Bon, pour le côté beatmaking il faut dire que pour ma part, c’est un héritage de l’école Newyorkaise et de Détroit. Les couleurs, le grain et le rythme des tracks tels que dans  Que la lumière soit ou Excuse-moi sur CPQM te renvoient directement à ça. Ceux qui m’inspirent viennent de là et sincèrement il m’est difficile de m’en défaire. Toutefois il m’arrive souvent de sampler (échantillonner) des musiques gabonaises ou africaines, mais c’est comme un chat qui retombe à chaque fois sur ses pattes, ça finit toujours par sonner soulfull. Mais bon, je m’essaye à d’autres styles, d’autres vibes même si je n’ai pas vraiment envie de sortir de ce côté boombap oldschool, mais juste de le peaufiner.

LCDP : On constate que « Ave Parias » (qui est le premier morceau de l’album) a un rythme très militarisé, vous sentez-vous comme des soldats dans un champ de bataille ou cela traduit-il plutôt un tempérament militant ?

Stentor : Oui les deux à la fois. Nous ne sommes pas que des soldats du Hiphop mais dans la vie en général, dans nos idées, nos convictions nous sommes en lutte et c’est clairement ce côté militant-là qu’on a voulu donner à ce morceau.  Dans chacun des couplets c’est ce  fil conducteur qui traduit notre positionnement et la vision d’intégrité qu’on revendique à la fois pour le mouvement Hiphop et dans la gouvernance du bled.

LCDP : Au bout de ce deuxième chapitre intitulé « ces pages qui manquent », pensez-vous avoir rassemblé toutes ces pages éparpillées ou vous êtes toujours en quête d’autres pages qui sont encore éparpillées par le vent et dans le temps ?

Farrello : Nous ne pourrons jamais dire avoir rassemblé toutes ces pages qui manquent. Ce serait plutôt prétentieux quand même. Cet album était juste notre part. Ces pages que nous avons pu trouver et que nous mettons humblement à leur place dans le livre du RAP Gabonais. Nous sommes convaincus qu’il en reste encore beaucoup que d’autres et nous-mêmes apporteront.

Stentor : C’est exactement comme le dit Rello. Le rap gabonais est une longue et belle histoire qui n’a pas commencé avec nous, une histoire qu’on voudrait écrire en lettre d’or et que d’autres après nous viendront étoffer. Voilà.

LCDP : Il n’y a quasiment pas de voix féminine dans l’album excepté dans les chœurs de « Père dû », estimez-vous que le rap conscient ne peut être porté que par des voix masculines ?

Farrello : Pas du tout. La chaleur d’une femme c’est toujours sacré vous savez (rires). Ça fait surement partie des manquements de cet album (objectivement). Nous n’y avons pas pensé dans la structure de l’album à la base et au moment où nous l’avons fait c’était un peu tard parce que ça nécessitait d’engager encore tout un processus pour qu’on ait in fine une collaboration de qualité avec une voix féminine d’ici ou d’ailleurs. A ce propos nous tenons à faire une mention spéciale à Welkome, Dary et Milva qui nous ont soutenus pour la vidéo du titre Ave Paria.

LCDP : Merci pour votre disponibilité auprès de nos lecteurs. On vous laisse clôturer cet entretien en nous faisant part par exemple des projets ou dates importantes à votre agenda.

Stentor : Certainement 2020 verra la sortie de projets un peu plus personnels pour chacun des membres du crew,  mais l’actualité pour l’heure c’est la promo de l’album. On a quelques médias dans le viseur et on projette également de le défendre valablement sur scène. Les dates vous seront communiquées le moment venu. Big up à vous.

Propos recueillis par LPG Bounguili, C. Itanda, H-W Otata

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