Michel Ndaot « Mon combat est d’hurler au monde que le théâtre Gabonais existe!»

Le Chant de Powê : Bonjour Michel, comment vas-tu ?

Michel Ndaot : Je serai tentée de répondre comme le pays, comme disent certains, ça va.

LCDP : Pour ceux qui ne te connaissent pas, qui est Michel Ndaot ?

MN : Michel Ndaot est un type ordinaire, qui a grandi entre Libreville et port gentil. Passionné de théâtre, c’est un autodidacte qui s’est très tôt détourné des études classiques par intérêt pour les arts, plus spécifiquement le théâtre. Il y a des années, plus de vingt ans en arrière j’ai sollicité l’appuis de mon père en voulant reprendre des études dans une école d’Arts au Sénégal qui s’appelait le MOUDRA Afrique. Je n’ai jamais oublié sa réponse : « commence d’abord par étudier la culture de ton pays ». Avec le temps je lui donne raison. Parce qu’effectivement je voulais aller dans cette école d’Arts sans même avoir obtenu mon Baccalauréat et c’était complètement utopique de ma part. Michel Nadot c’est celui qui aussi s’est fait connaitre grâce à la télévision Gabonaise au Téléthéâtre dirigé par Dominique DOUMA en jouant des pièces de théâtre. A l’époque la télévision gabonaise laissait une place, au moins 2h de temps au théâtre et avait même une compagnie théâtrale hormis le théâtre national qui existait déjà.

LCDP : Comment va le théâtre Gabonais aujourd’hui ?

MN : J’adore cette question. Il n’existe pas de théâtre Gabonais à proprement parlé. Le théâtre Gabonais survit, il est maladalité. Mais pour être maladalité, il faut déjà être. Non, il n’est même pas. Il est toujours perçu comme un espace pour s’amuser, il n’est pas pris de façon professionnelle. Tel est mon constat hélas. Par contre ce théâtre était en émergence dans les années 70 et fin 80 il y avait un espace au ministère de la culture par lequel passait tous les classiques les Nyonda par exemple. Et là c’est complètement la chute, un trou béant de la création. Et cela s’observe également en matière d’écriture, car on compte ceux qui écrivent pour le théâtre. Il n’existe pas un théâtre national, il en existe que de nom. Nous n’avons pas un théâtre national comme les autres avec un répertoire, c’est tout le contraire.   Nous n’avons rien et la réponse peut paraitre choquante mais le théâtre gabonais n’existe pas. Aujourd’hui, les « résistants » s’il faut les appeler comme ça, se comptent sur les doigts non de deux mais d’une seule main. Je ne vais pas commencer à les citer de peur de rendre quelque uns jaloux. Mais voici la situation tragique du théâtre gabonais. A ce propos Laurent Owondo a écrit un article dans lequel il parle de la léthargie du théâtre gabonais.  Je le dis donc haut et fort, le théâtre gabonais n’existe pas. Quand on dit théâtre on va dire Dominique Douma, Miche Ndaot…, mais ce n’est pas suffisant.

LCDP : Tu es souvent à l’affiche de l’institut français, pourquoi persistes-tu vu la mort qui règne autour ?

MN : Je persiste parce que c’est la seule chose que je sais faire comme j’aime à le dire. C’est d’ailleurs l’occasion aussi pour moi de remercier tous ceux qui m’accompagnent dans mon rêve qui finalement devient notre rêve. Je persiste car c’est le seul espace, l’institut français, où on peut encore s’émouvoir ; et ses dirigeants se sont rendus aussi compte qu’il y a un besoin d’hommes et femmes du théâtre qui existe bien que ce besoin ne soit pas très large. Nous avons une école d’Art qui forme chaque année des comédiens qui hélas optent pour une vie de fonctionnaire, normal, chacun pense à son steak. Ainsi l’ENAM (Ecole Nationale d’Arts et de Manufactures) forme des comédiens qui pour beaucoup finissent professeurs d’activités socio-culturelle dans les établissements scolaires ou au ministère mais dont très peu ouvrent un atelier ou une troupe de théâtre dans ces milieux. Un autre petit groupe se retrouve au ministère de la culture et devrait travailler pour le théâtre national mais hélas Le théâtre national devient un petit bureau où les gens se retrouvent pour pointer et en suite retournent chez eux.

LCDP : Quelle place a le théâtre à l’école aujourd’hui ?

MN : Je ne saurais vraiment répondre. Ce sera peut-être à un enseignant de théâtre d’y répondre. Je me demande s’ils sont notés ? car pour l’heure cela se limite à de petites représentations de fête de fin d’année scolaire. On ne voit pas le fruit de l’intervention de ces élèves ayant une formation en art dramatique et qui ensuite deviennent des professeurs d’arts dramatique. On n’en voit pas le résultat car tous veulent se cacher derrière la vie de fonctionnaire. C’est honteux lorsqu’on regarde à côté le Cameroun, le Congo, qui sont au maximum de la créativité théâtrale et que le Gabon ne soit même pas présent aux rencontres internationales. Il y a quelques années j’ai lancé Théâtre du nord dont le but était de jouer sur des places publiques ouvertes dans chaque ville, mais nous nous sommes rendus compte qu’au Gabon nous n’avons pas cette culture et avec le spectacle Powê qui avait lieu dans les écoles on s’est rendu compte que même les élèves n’avaient pas cette culture théâtrale. C’est dur mais c’est la triste réalité. Pourquoi je continue, parce que je n’ai pas le choix, et il y a certaines sensibilités aussi qui y répondent à ce que je propose comme représentation et qui me disent que cela leur a permis de rêver, d’appréhender certains textes. Il y a quelques années j’ai adapté un roman de Justine Mintsa intitulée histoire d’AWU et l’adaptation théâtrale AWU a permis à des gens d’aller à la découverte de l’œuvre. Et c’est là ma satisfaction. Et dans l’ombre, beaucoup me demande aussi de continuer.

LCDP : Quel est ton combat aujourd’hui ?

MN : Mon combat aujourd’hui est d’abord de partager le message, car le théâtre est d’abord pour moi un moyen de passer des messages. C’est une arme, une manière aussi de montrer au public nos tares. Le nom de mon atelier c’est atelier EYENO traduisant la maxime selon laquelle « le théâtre est le miroir de la société ». Mon combat est de donner une place au théâtre afin qu’il existe un théâtre gabonais. Par ma modeste personne, j’y contribue. J’ai du mal à accepter qu’on reçoive certaines personnalités ici pour des rencontres et colloques et que ce soit régulièrement des rythmes de danses qui soient représentés et représentent la culture alors que nous avons des auteurs, un discours à la limite une dramaturgie gabonaise, les épopées, des textes comme la mort Guykafi, et en plus je crois à la créativité gabonaise. Vous me direz que mon discours est plein de contradictions, je l’admets, mais je sais où je vais. Car la jeunesse gabonaise est pétrie de talent, elle écrit des textes mis en valeurs par le slam, le rap mais que cela se fasse par le théâtre aussi.  Mon combat aborde une question urgente, celui d’hurler au monde que le théâtre existe, d’éveiller les plus jeunes, il faut bien que ça bouge car on ne peut pas rester comme ça c’est fou ! c’est à rendre malade ! Mais aujourd’hui je reste un peu comme un tronc sur lequel certains jeunes viennent au moins s’appuyer et il faut que je fasse semblant d’avoir des racines pour accompagner leur évolution. Si je commence à tanguer cela ne sera pas bénéfique.

LCDP : Ton message aux dirigeants et au monde, au jeune et à la diaspora ?

MN : Il y a quelque temps lors d’une interview de TV5 monde de passage ici, ils me demandaient si je n’avais pas peur d’être censuré après le jeu de la pièce de Ludovick Obiang « Tant que les femmes auront des couilles ». J’ai répondu que pour être censuré il faut être écouté pour ce qui est du théâtre.  Mon théâtre est un engagement en double sens pour prouver qu’il y a un bourgeon, un embryon de théâtre au Gabon, et le second engagement celui qui anime tout le monde aujourd’hui le râle bol. Car je ne choisi pas des textes sur les fleurs, la vie est belle etc. Mais le choix de mes textes est en lui-même un engagement. Car je joue des textes qui traitent des conditions socio-culturelles, des thématiques comme le veuvage, les conditions de la femme, exemple Powê inspiré des textes de chansons de Pierre Claver Akendengue et récemment 1964 que vous avez eu l’opportunité de suivre. Je ne vais certainement pas jouer dans le sens que tout le monde suit.

A la diaspora que dire ? plutôt dans les engagements artistiques, il faut y mettre de plus en plus d’accent, je pense à Tita Nzebi, à Nanda qui par leurs textes portent le message. Je vais m’arrêter sur le plan artistique et culturel car je n’ai pas les bottes pour animer l’aspect politique que tel ou tel autre aspect, la cour constitutionnelle etc. Moi si elle fait chier, je vais dire qu’elle fait chier, si elle ne va pas bien je le dirai. Nous n’avons pas besoin de faire une école politique pour nous rendre compte de la décadence de la situation. Déjà sur le plan socio culturel de notre pays, ce n’est pas possible, aujourd’hui on ne peut pas se lever en se disant qu’on va emmener son gosse voir l’exposition d’un peintre gabonais. Je ne vais pas répéter ce que tout le monde sait déjà sur le fameux musé etc. c’est encore plus déplorable que quelque soit le combat qu’on peut mener, parlant de ce qui est propre à moi : l’existence d’un théâtre, il y a encore le combat de mener le public vers les salles,

A la jeunesse : Cette réplique de la pièce Barça ou la mort : « laissez la jeunesse s’exprimer ailleurs ». Laissons la jeunesse s’exprimer, car je crois en cette jeunesse de par le génie qu’il y a et aussi je lui demande de ne jamais oublier hier, nos traditions, c’est un plus, c’est une force que le jeune d’ailleurs de Berlin, Paris n’a pas, c’est la source. C’est les inviter à avoir un regard sur nos coutumes qui sont très riches, prendre appuis sur nos racines pour pouvoir avancer ; Et comme disait Janus « regarder devant tout en fixant derrière ». Voilà ce que je peux conseiller à la jeunesse gabonaise et Africaine. Et je dirais même avec Moundjiegou un auteur gabonais qui n’est plus de ce monde que « je demande pardon aux enfants qui parlent et entendent sans savoir ni lire ni écrire ».  Cette jeunesse ne doit pas qu’être bardée de diplôme mais garder aussi son authenticité, une forme d’éducation et de culture, nos richesses traditionnelles.

LCDP : Quand va-t-on pouvoir se procurer une œuvre de Michel Ndaot ? A quand une publication ?   

MN : Inch Allah, très bientôt. Il le faut bien. Disons avant 2020. Et pourquoi une publication parce que je reçois des coups de fils de vous, Larry Essouma, Lepresquegrand, toi et bien d’autres. Mais vous savez, je suis un écrivain des tiroirs et je ne vous dis pas le nombre de textes perdus enfin je me dis qu’il faut éditer et ce sera aussi ma contribution dans les œuvres de théâtre car de ce côté il y a un grand vide. Je vous dis juin ou juillet pour deux pièces de théâtre dans un seul recueil.  Et les titres sont : les convives, suivi de Ngata.

LCDP : Hier nous avons eu l’opportunité de suivre votre pièce 1964 de quoi traite cette pièce plus précisément et quel est son apport sur la scène théâtrale Gabonaise ?

MN : Elle traite du coup d’état de 1964 et bien plus. Cette pièce c’est pour marquer cet événement dont on dit que les artistes ne s’en sont pas suffisamment approprié, ainsi que les intellectuels Gabonais d’ailleurs. Par le théâtre je me suis dit : je vais écrire autour et pouvoir monter ce spectacle, en parler, pour montrer la période troubles des années soixante au niveau de l’Afrique en général et du Gabon en particulier. De plus, c’était l’occasion de jeter un regard sur nos rois bouffons. Une manière de parler de cette période et voir où nous en sommes. Vous savez, ici nous sommes condamnés à créer et crever plutôt que créer et tourner, diffuser et ensuite crever. Chaque création est appelée à mourir ici si ce ne sont des captations vidéo sur des supports CD permettant de les sauver. Le combat est long.

LCDP : Quelle est ton actualité ?

MN : Mon actualité c’est la pièce Barça ou la mort qui sera en présentation le 9 Avril à l’institut français de Libreville, préparer la sortie du livre et un festival à Pointe Noir (Congo) en juin pour un mono dans un festival de Jeff BIYERI, j’irai jouer Prevert bantu.

LCDP : S’il t’était donné de refaire quelque chose dans ta vie, que rectifierais -tu ?

MN : Cela peut paraître surprenant mais je referai la même chose, le même parcours, le même itinéraire. Cette singularité je la revivrai. S’il y avait une machine à remonter le temps, je serai toujours dans le domaine des arts.

LCDP : Merci Michel Ndaot de nous avoir accordé cet échange. Nous invitons le public à se rendre nombreux le 9 Avril à l’institut Français à partir de 19h pour la pièce Barça ou la mort.

 

Merde !!!

 par Naelle NANDA

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