Landry Amiang et Mombo Kinga: une longue marche des ténèbres de la dictature à la lumière de la liberté

La libération de Hervé Mombo Kinga et celle de Landry Amiang Washington, deux gabonais qui ont eu l’audace de se dresser face à la dictature qui enserre le peuple gabonais, est une leçon éblouissante d’affirmation de soi, car ces deux citoyens ont fait la démonstration qu’ils possèdent une colonne vertébrale dont les bases sont solidifiées par la droiture des convictions, le refus des compromissions et surtout la quête d’un idéal démocratique et de liberté intégrale. De ce point de vue, ils méritent d’être classés au rang de personnes au-dessus de la mêlée. Comme s’ils avaient lu ce roman du regretté et illustre romancier Ahmadou Kourouma : Quand on refuse on dit non. Ils ont tenu bon, ils ont résisté. Tout en résistant, ils nous disent beaucoup sur notre époque et sur le cheminement du Gabon de l’obscurité dictatoriale vers l’éclatante liberté : ils sont les soleils de la conscience. De quoi sont-ils donc le nom?

            Ces deux figures symbolisent une époque en même temps qu’elles inaugurent le sillon d’une génération : quadragénaires, élevés à la mamelle des chants conscientiseurs de Pierre Claver Akendengue, suffisamment éduqués et instruits pour lire les signes d’une époque qui s’agite, habiles manipulateurs des objets modernes de la lutte et surtout ils introduisent une rupture de plusieurs ordres et réinventant ainsi leur propre paradigme. Celui-ci consiste à peser considérablement sur le cours de l’histoire du pays, rompant ainsi les schémas de la peur inoculée durant un demi-siècle.

            Cette génération a vu passé tant de richesses qui auraient dû lui profiter et a pris conscience du chaos vers lequel se dirige inexorablement le pays aux manettes duquel se trouve une succession de dirigeants qui rivalisent chaque jour pour étaler les incuries de leur incompétence.

            Cette génération sait aussi qu’elle n’attendra plus l’aide d’une quelconque nation pour la libérer, comme on attend l’intervention de la providence. Et elle fait siens ces mots de Jean-Paul Sartre qui à propos des nations colonialistes telles que la France, dit : « On ne peut pas attendre beaucoup des nations qui ont asservi les Indes, l’Indochine, l’Afrique noire. » Cette génération par l’entremise de Landry Amiang et de Mombo Kinga sait que la libération du Gabon ne viendra pas de la France ni d’une quelconque puissance étrangère, mais de l’engagement de chaque citoyen gabonais dans l’élaboration d’un processus de libération nationale. Autant dire que Mombo Kinga et Landry Amiang sont de cette génération qui veut rendre la liberté disponible à tous. Cette génération est encore plus consciente que son salut ne viendra pas de ce dieu qu’on célèbre dans les ténébreuses églises du Gabon. Car, dans les pires moments du pays, alors que les circonstances en appelaient à la hauteur de vue, toutes les obédiences religieuses ont choisi de pactiser avec l’empire de la dictature alors même qu’on était en droit d’espérer du clergé gabonais un positionnement semblable à celui de la RD Congo. Hélas!

            Landry et Hervé c’est cette génération qui parle désormais avec l’aimable autorisation de ses couilles pour reprendre Akhenaton du groupe de rap IAM. D’aucuns diront qu’ils sont des héros, mais en réalité, ils ont exercé leur citoyenneté de plein droit. Leurs procès respectifs ont permis de dévoiler si besoin était, l’absurdité d’un système judiciaire sinon une justice inféodée aux désirs d’une minorité de puissants oppresseurs.

            Le pouvoir gabonais s’est toujours attelé à fabriquer une société de poltrons, de piètres zélateurs engraissés, de lâches et d’hommes liges aussi bien en politique que dans le monde des arts et de la culture; un pouvoir qui a toujours érigé les figures félonnes inconsistantes et aux convictions poreuses, ceci afin d’annihiler tout germe de contestation dans l’esprit des citoyens. Et pour y parvenir, l’argent faisait taire les vérités les plus évidentes. Jadis, Mombo Kinga et Landry Amiang s’en seraient tirés avec des mallettes d’argent, ils auraient tu et renié leurs convictions pour finir encartés dans la crasse du parti de « masse ». Ce schéma est aujourd’hui en voie d’être rompu sinon entièrement effacé, au-delà de certains entrismes récents opérés par ces appendices de la dictature faussement parés de l’étendard d’hommes politiques d’une opposition dite « modérée » répondant à « l’appel de la nation ». Il est désormais et plus que jamais, possible de dire NON à cette « secte de snakes en exercice » selon les mots du rappeur Ékomy Ndong.

            Landry et Hervé sont des beatniks  sociaux car ils étalent au grand jour ce qu’un citoyen est en droit de faire à savoir produire un nouveau mode d’agir citoyen. Celui-ci vise à se sortir de cette léthargie d’éternel sujet passif qui subit les évènements dans un fatalisme tout en se dédouanant. Autant dire qu’avec eux meurt le « on va encore faire comment » et naît l’idée de « Faire ce qui n’a jamais été fait ».  Et dans ce nouveau paradigme, l’homme politique n’est que l’instrument des citoyens, du peuple. Et faire ce qui n’a jamais été fait, c’est refuser de céder face à ce pouvoir et faire naître partout à travers le pays des Landry et Hervé. Loin d’idéaliser ces deux figures emblématiques, il s’agit surtout de ne pas banaliser tout ce qu’impliquent leur incarcération et leur libération.

           

Toute dictature érige la prison comme symbole de tous les arbitraires dont elle se rend coupable. Et ces incarcérations en sont la preuve. Et le schéma est connu : arrestations et ratonnades, des preuves montées de toutes pièces, chefs d’inculpation farfelus, et cela s’achève par des procès kafkaïens. Bien évidemment, avoir droit à un procès est une chance en soi. Car il n’est pas exclu qu’on vous fasse subir le sort de Luc Nkulula, ce résistant du mouvement la Lucha fermement opposé au régime Kabila et qui a péri dans un incendie aux origines obscures. C’est dire si les actes de mobilisation citoyenne portent encore aujourd’hui en Afrique leur lot de dangerosité. Ce péril, certains ont choisi de le braver, loin des jérémiades hystériques des activistes de pacotille, qui prennent leurs délires sur la toile pour des actes de courage, n’hésitant pas à se fabriquer des légendes personnelles pour une éventuelle place au soleil.

            Landry et Hervé sont deux personnes qui deviendront sans doute des personnages car ils vont s’insérer dans le grand mythe national, le grand roman national d’une autre république dont la restauration est en cours. Aussi sont-ils semblables aux idéalistes mis en musique par Pierre Claver Akendengue notamment Maronghè le caméléon et Poè. Ces deux personnages refusent la compromission et choisissent de dire la vérité et de proclamer le désir de liberté qui habite la volonté populaire, celle qui brûle de se faire entendre. S’il est vrai que ces deux personnages meurent dans leurs récits respectifs, leur message se trouve dans la symbolique même de leur mort qui est sacrificielle : la mort de Maronghè ne décourage pas ses partisans qui se « retirèrent pour se réorganiser ». De la même manière, Poè laisse en héritage un chant et une pluie chargée de symbole : pluie purificatrice et surtout de germination.

            Les combats entamés par Mbombè, Mavurulu, Germain Mba, Mandza ou Martine Oulabou se sont soldés par la mort. Mais ces figures ne sont pas mortes en vain. Elles ont fait germer des Landry Amiang, des Hervé Kinga Mombo, et tous les autres activistes disséminés à travers le monde, des plus anonymes aux plus emblématiques. Et ainsi que le chante Pierre Claver Akendengue, qui vraisemblablement a tout d’un visionnaire, « il eut le premier qu’on crut le dernier ». Au nom de la liberté, Hervé et Landry sont les plus récents amants de la liberté issue d’une longue lignée loin de s’achever, car en attendant le tour de Bertrand Zibi, Dieu dira toujours « Au suivant ».

BOUNGUILI Le Presque Grand

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