From Kolkata, un coup d’éclat musical

Nous attendions avec impatience et curiosité la sortie du second album de la chanteuse gabonaise Tita Nzebi From Kolkata. Sur la lancée du premier « Métiani » (2011), force est de constater que celui-ci a tenu ses promesses. Le chant de Powê se penche donc sur un album qui arrive à temps comme pour supplanter ce moment qui a depuis laissé la scène musicale gabonaise à la merci, à la fois, des productions mielleuses et dont la pérennité est écumeuse ; ce temps qui a vu éclore des artistes plantureuses et à la consistance d’une poupée gonflable et dont les paroles ne glorifient que débauche et le goût des jouissances pelviennes.

Au premier coup d’œil, on remarque sur la pochette de l’album From Kolkata que le chromatique n’a pas changé. L’artiste est restée fidèle à la couleur de la terre saupoudrée cette fois d’un peu de poussière d’or comme pour lui donner ce côté soleil qui suggère le somptueux des choses. Le travail photo semble lui avoir été plus exigeant. Les lignes sont plus nettes, avec un brin de sensualité agréable à l’œil. Cet œil justement, il est clos, mais ce n’est pas un œil revêtu d’œillères et qui se ferme au monde et refuse de le voir. C’est plutôt une invite à un autre voyage.

L’album est composé de 11 titres qui s’écoutent en un peu plus d’une heure. Une heure durant laquelle l’artiste parvient à nous réconcilier avec la grande tradition du chant gabonais : chant de vocalise et non d’auto-tune, chant d’enracinement et non du déhanchement dément de derviches tourneurs, chant de méditation et de médiation et non de la déréliction.

La large majorité des mélomanes a découvert cet album à travers le titre « Dictature inavouée », classant d’emblée l’artiste dans un registre de chanteuse dite engagée. Mais la voix de Bibaka[1] ne cache guère sa conscience citoyenne qui l’oblige à exprimer son sentiment sur la situation politique du Gabon, pays enténébré depuis un demi-siècle :

Pour ce Gabon béni

Nous crierons liberté

Du fonds de nos cachots

Du tombeau des héros

De nos voix de prolos

Sortira liberté

 

Il serait réducteur de cantonner Tita Nzébi dans l’étroitesse du registre politique. Et pour cause, sa voix porte d’abord l’identité d’un terroir qui depuis les pionniers s’est saisi du chant pour conter, raconter la vie et ses couleurs, la vie et ses monts, la vie et ses épisodes nostalgiques.

La chanteuse nous livre alors une expérience humaine, une part d’elle, son humanité. Du Gabon à l’Inde, en passant par la France, l’artiste est une citoyenne de plus dans le monde qui nous emmène en voyage à travers sa voix.

À une époque où les voix s’élèvent pour exiger aux artistes de se conformer aux diktats éditoriaux pour soi-disanttre reconnu internationalement, Tita Nzébi fait le choix audacieux de s’exprimer quasi exclusivement dans sa langue maternelle courant le risque de n’être écoutée que par des Gabonais et de de n’être comprise que par des locuteurs de la langue nzébi. Aussi l’album ne contient qu’une seule chanson en français en l’occurrence le titre cité précédemment. Et c’est ici que se situe la plus-value de cet album autant que s’affirme la qualité de Tita Nzébi : elle fait le pari d’exprimer sa singularité pour sortir de la marginalité. Car la musique n’a jamais été aussi pertinente que lorsqu’elle vous force à écouter sans comprendre un traître mot de ce qui se dit. C’est ce tour de force que réussit Tita Nzébi. Notamment lorsqu’elle allie sa voix à celles de l’Inde ainsi que les titres « Baul Song » et « From Kolkata » donnent à l’écouter.

« J’étais au concert de Tita Nzébi au Café de la danse le 06 avril 2019 et je me suis procuré l’album. Ce que j’aime avec sa musique c’est le fait que nous devrions ouvrir notre âme pour l’écouter et chaque chanson parle à chacun de nous de manière différente… » Témoigne Claude sur les réseaux sociaux.

Attribuons donc volontiers un satisfécit cinq étoiles à l’album. Mais s’il est évident que les avis divergeront au point de relativiser cet enthousiasme, tout mélomane sera forcément convaincu par nos coups de cœur : « Ba ngu », « La caravane passe » ou encore les très envoûtants et dépaysants « Baul song » et « From Kolkata »; vous serez transportés par « Me ba bèle » et son rythme décemment entraînant ou encore par « L’kwele » et les sonorités reggae de « Mindombe », ces deux titres dont les chœurs rappellent les chants des veillées ou qu’on écouterait sur le chemin menant à la rivière. Et comment ne pas succomber à « Bayendi », sorte de chant dédicatoire aux siens, à ceux qui ont élagué son chemin, ces absents devenus des forces présentes.

« Ce qui m’a le plus marqué à ce concert est le fait de voir un public européen occupé la fosse dès l’entame du concert pour esquisser des pas de danse… »  Rajoute Claude.

From Kolkata n’est pas un album racoleur inondé de featurings commerciaux et autres interludes de remplissage. Tita Nzébi s’y affirme debout, avec la plénitude de sa voix sincère, claire comme une vérité, elle s’affirme comme une artiste sûre, certaine de la direction de sa barque et dont le talent accomplit le miracle de nous enraciner davantage dans une terre lointaine toujours si proche. Maintenant que l’artiste défend ardemment son album entre l’Europe et l’Inde, on peut avoir le regret que les Gabonais soient privés de ses prestations scéniques.

Nous nous sommes introduits dans l’univers de cet album par nos braves mères, et au fil des écoutes, nous avons arpenté le chemin de patience qu’est le mariage, cherché les sages, leurs conseils, nous avons pris le temps de nous considérer, de considérer nos actes, nos mots et nous avons ouvert la porte qui permet de contempler à la fois toute la vanité et toute l’éternité de l’existence.

In fine, From Kolkata, un voyage dans ce qui fait cet artiste majeure (c’est le cas de le dire) de la musique gabonaise. Nous comprenons mieux désormais cette propension à toujours garder les yeux clos sur les pochettes de ses albums. Une manière de dire : « Ne vous arrêtez surtout pas sur l’apparent des choses. Regardez au-dedans. Vous m’y trouverez, vous vous trouverez, parce que ce bout de moi que je chante, c’est aussi vous qui me l’avez donné. Je suis l’enfant de ma culture, de mon pays, je suis vous. »

Bounguili Le Presque Grand

Larry Essouma

Cheryl Itanda

[1] Nom à signification multiple dans l’univers de l’artiste : référence à la rivière qui coule  dans la Ngounié au sud du Gabon, nom de sa grand-mère et aussi appellation de son label de production.

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