Pierre Claver Akendengué: mémoire d’enfance, chant d’avenir

Quand ai-je commencé à t’écouter ? je ne saurais le dire. Peut-être dans le ventre de ma mère. Je n’étais pas née que tu chantais déjà. Ta musique et ses échos, me ramènent à mon père. Ha mon père… Je n’ai pas la force de dire « défunt » car pour moi il vit toujours quelque part. Ma sœur m’a dit que quand j’étais enfant, j’aimais chanter. Parfois des chansons de toi ou des chansons qui venaient d’on ne sait trop où, l’inspiration ! Elle me raconte que c’était souvent des chansons qui avaient un air nostalgique. La tête penchée, je fredonnais harmonieusement. Elle m’a parlé du titre « Azéva ». De celle-là je me souviens très bien. C’est la chanson de mon enfance. Je me rappelle du « iya ho hou ho hou ho, iya ho ho ho… » qui fait office de refrain.

Je me souviens de 90, Janvier 90 à Port-Gentil, de la mort de Rendjambé, des émeutes, des murs qui montaient pierre sur pierre à une vitesse incroyable, des femmes myènès tout de blanc vêtues qu’on disait être les « Femmes du Djèmbè », des sons assourdissants de bombardement venant de là-bas, au Château, ce quartier qu’on avait quitté précipitamment pour aller à deux pas, derrière le Centre social. Je me souviens de mon père qui tardait à rentrer. De moi en pleurs à l’écoute de chaque Boum ! demandant à voir mon père. Je me souviens de moi refusant ce pain au lait que j’aimais tant, refusant ces yahourts qui ne m’avaient jamais laissée insensible. Je me souviens de moi, fredonnant en pleurs et tant bien que mal « Azéva », ta chanson, avec ma sœur qui peinait à me distraire.  Oui, je me souviens de mes pleurs, je me souviens de mes peurs et dans ces moment cette chanson « Azeva » était là. Par-dessus tout « Azéva » est le symbole de la joie retrouvée au retour de mon père ce soir-là. De mon petit corps d’enfant blotti entre ses bras, puis de ma main qui ne voulait plus lâcher la sienne. Et je me souviens de cet autre jour de janvier où nous quittâmes la ville pour le village, loin des émeutes et des bruits de bombardements. Dans cette pirogue qui nous menait au paradis, j’enseignais à mon frère Bertrand cette chanson que j’aime toujours. Bertrand, n’avait jamais mis les pieds au village encore moins embarqué dans une pirogue. Ta chanson il ne la connaissait pas, mais il avait très vite appris. Et en chœur, nous chantâmes tout le long du trajet encore, et encore « iya ho, hou ho hou ho, iya ho ho ho » sous la musique ronflante des moteurs hors-bord. Il était beau cet accompagnement et d’ailleurs je le trouve toujours très beau. Aujourd’hui encore quand je vais au village, les moteurs et les vagues fouettant le fond de la pirogue sont l’orchestre qui accompagne mes iya ho hou ho… Bertrand, mon Ya Bertrand, lui aussi n’est plus de ce bord et cette chanson était notre chanson celle qui a tissé un lien unique entre nous. C’était notre chanson des jeux et des moments de tristesse enfantine.

Et je me souviens aussi, de l’autre chanson « ogula kongondouma »  pendant les jours de fête de commémoration de l’indépendance, de mon père amusé devant nos déhanchements, de la pièce qu’il nous offrait et qui mettait le baume au cœur nous faisant croire que nous étions de grandes danseuses. C’est dans ces moments-là que j’aimais cette chanson. Car bien trop souvent, on nous faisait danser pour rien, pour amuser la galerie. Je n’aimais pas ça, quand une personne se pointait et qu’on sortait le poste radio cassette, le doigt adulte qui enclenchait le « Play » marquant le début des : « danse d’abord ! allez danse hein ! montre-lui ta botte-là, allez vas-y ! ho danse sérieusement hein toi aussi ! » et donc de mon supplice. Car oui j’avais honte de danser sans en avoir envie, de danser sur commande, de danser pour des gens. Je l’ai détestée à certains moments cette chanson. Mais pas toi. Toi Pierre Claver Akendengue, je t’aimais beaucoup, j’étais déjà admirative de ton œuvre. Et mon père parlait de toi, toi l’intello-chanteur qui malgré le temps mis à l’étranger était resté attaché à cette culture qu’il valorisait si bien. Il me parlait de ton combat, de tes chansons et de leur profondeur, du pouvoir et de la force de tes paroles. Il nous parlait de ton exil forcé et je ne comprenais pas pourquoi des chansons pouvaient faire autant peur à une personne qui se dit puissante et de surcroît armée. Et mon père m’avait dit qu’une vraie chanson c’est divin et c’est l’une des plus puissantes armes qui existe. J’en étais ébahie.

Et il y avait Poè. Souvent je l’imaginais, ce petit oiseau qui à chaque fois qu’il chantait, il tombait « des gouttes d’eau », parfois de gouttes de sang…faisant chemin avec lui dans son périple. Je le cherchais dans les oiseaux du village, dans ceux de la plaine et de la forêt. Et ma seule hantise était que tu finisses comme Poè. Un peu comme ce chanteur Cuatro qui avait prédit son funeste destin dans l’une de ses chansons, c’est mon père qui me l’avait aussi raconté.  Ce même Cuatro que tu cites d’ailleurs dans « Sans oublier l’oublié ». Et mon père me transmit toute la valeur et le pouvoir que peut avoir une chanson et la portée de nos paroles. Il me parlait de ton courage car malgré tout tu continuais à chanter. Et, enfant, je m’étais dit qu’un jour je te rencontrerai. Et il m’arrivait de prier pour toi, afin que tu sois en bonne santé, pour que tu vives longtemps pour que j’ai un jour le bonheur de te voir.

Ce bonheur a eu lieu un jour de juillet 2017, bon je t’avais déjà rencontré avant en 2014 et 2015 mais 2017 fut spécial car j’eu le privilège de partager un vrai moment, de discuter pendant plusieurs heures, tu parlais de ta vision de l’art et de sa place dans la société.  Pour toi, l’artiste est la voix du peuple, la voix des peuples opprimés, du moins celui qui choisit cette voie-là. Il y a tant à dire sur ta vision des choses, sur ta vie et tes chansons. Ces chansons que j’aime toutes et que je chante comme si c’était les miennes.  Je ne parlerai pas de « Nandipo », Nandipo mes larmes, ma nostalgie, Nandipo mon cœur, comme si j’y avais vécu. Tu sais mon autre m’appelle Nandipo. Et j’aime ce petit surnom. Et « Nkéré », « Sans oublier l’oublié », « Akewa », « Gabon libéré » et tant d’autres, et toutes les autres. Elles sont trop nombreuses tes chansons que j’aime et je n’arrive pas à trouver une seule que je n’aime pas et qui ne me fasse frémir la conscience et le cœur. Parfois je sens mon œuvre insignifiante tant tu as tout dit, tu as chanté comme j’aurais aimé chanter, slamé comme j’aurais aimé slamer, poétisé comme je ne pourrais jamais le faire, mélangé les rythmes et sonorités comme j’aurais aimé le faire.   Alors j’apprends de toi et de ton travail.

PCA, aujourd’hui ma seule crainte est que tu partes sans avoir transmis tout ce que tu dois transmettre, sans avoir dit tout ce que tu dois nous dire, nous enseigner. Les hommages sont peu nombreux. Je réalise que nous ne faisons pas assez pour te célébrer ou du moins pour célébrer ton art, alors que nous avons la grâce de t’avoir encore avec nous. Certains l’ont certes fait au travers d’œuvres littéraires, théâtrales. Mais permettez-moi de nous dire que ce n’est pas assez !  Nous pouvons plus que ça. Faisons de la Powêtude, une manière d’être, de vivre, un mouvement de pensée, un mouvement révolutionnaire dans tous les secteurs. Célébrons nos soleils tant qu’ils sont encore avec nous. Célébrons nos héros tant qu’ils sont encore en vie. En ce jour spécial pour toi, je te dis Akewa, merci Tonton Coco pour l’œuvre pharaonique. Je te souhaite la santé, et la centaine. Que Dieu veille sur toi encore et que l’inspiration continue à être ta compagne.

Par Naelle NANDA

Références et liens vous permettant de vous procurer les œuvres consacrées à Pierre Claver Akendengué

TOURE RETONDAH Guy Steve, 2012,  Ezélé ! Pierre Akendengué, un cri de liberté, Ed. Raponda-Walker, 2012, ISBN 978-2-912776-95-2, 192 p.

http://www.leseditionsdunet.com/temoignages/5835-pierre-akendengue-un-chant-dans-la-nuit-fidele-afanou-edembe-9782312061665.html

https://www.babelio.com/livres/Biyoghe-Pierre-Claver-Akendengue-Le-clairon-de-la-societe/1134691

Images d’illustration google union.sonapresse.com

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