Les tam-tams se sont tus (2/3) : un héritage entre tradition et modernité

Dans ce deuxième épisode, le Chant de powê vous propose de continuer la (re)lecture de ce chef-d’œuvre de la culture gabonaise. Pour mieux la comprendre, nous vous recommandons vivement de lire la première partie >>> Lire la première partie >>> (Nb : la première partie traitant le synopsis détaillé, pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, il est disponible sur la plateforme Youtube).

Le film « Les tam-tams se sont tus » paraît en 1972, une année après le premier choc pétrolier. Le monde est plus que jamais régi par la Guerre Froide, opposant les démocraties occidentales et les régimes communistes. Sur le continent africain, la plupart des processus ou des guerres de décolonisation ont été menés. Les mouvements tels que la Négritude, l’anticolonialisme ou encore l’afrocentrisme sont connus. Les jeunes démocraties africaines sont alors confrontées aux problématiques des lendemains des indépendances : le grand ogre françafricain et toutes les méthodes visant à instaurer une néo colonisation, les partis uniques et les dictatures qui en découlent, ensuite le combat pour la démocratie. Les jeunes nations africaines se doivent donc de penser un continent postcolonial en faisant face à plusieurs défis.

Nous sommes donc à Libreville, capitale du Gabon, pays exportateur de pétrole et de bois, ancienne colonie française, sans doute à l’orée des années 70, une dizaine d’années seulement après l’accession du pays à son indépendance. Bâtie autrefois par des anciens esclaves libérés, elle se présente donc comme une jeune ville postcoloniale où le vent de la liberté fraichement soufflé et les soleils des indépendances chaudement hissés sur les tropiques attirent la jeunesse.

C’est dans ce monde qu’évolue Abraham que nous ne pouvons dissocier de l’acteur qui l’interprète (le réalisateur Philippe Mory) tant la teneur des monologues engagés et des points de vue défendus ne peut être autre que le fruit d’une réflexion intrinsèque. Il est donc sa propre voix et porte à l’écran une idéologie qu’il semble vouloir nous transmettre.

Les tam-tams se sont tus : choc des civilisations, afrocentrisme, négritude…

Plusieurs sujets jalonnent l’œuvre : le choc des civilisations, les méthodes d’émancipation prônées par l’Occident dans le simple but d’aliéner tout un peuple (une race), l’exode rural, l’impérialisme du model culturel occidental et les jeunesses africaines en perte de valeurs. L’œuvre apparait donc déblayée et recentrée sur ces thèmes. Choix sans doute du réalisateur, pour ma part. Pour en être sûr, j’ai donc posé la question à un ami qui m’a répondu :

 « … cela pourrait expliquer l’absence d’une influence des idéologies marxistes qui ont bon vent sur le continent à cette époque… mais un autre fait, plus proche du réalisateur, semble absent (le contexte politique) qui pourrait s’expliquer par la conjoncture politique du pays et les évènements de 1964… »

Mais cette réponse soulevait un débat tout autre. Il faut rappeler que Philippe Mory a purgé quatre années de prison suite au coup d’état manqué de 1964 face au président Léon Mba.

 Je disais donc qu’elle apparaissait déblayée et recentrée. Partant de la certitude que nous ne devons pas demeurer esclaves de nos traditions comme du constat que les tam-tams se sont tus et qu’avec eux l’Afrique des valeurs morales est morte, elle semble évoluer vers une vision quasi fatale pour toute une race « comment pourrait-il y avoir une autre destination pour la race noire » mais au final le réalisateur nous retient, comme pour nous demander de conserver notre personnalité et de ne pas nous évaporer docilement à force d’imitation « Oui c’est vrai, les tam-tams se sont tus. Pourtant, même à travers ce silence, il y a encore des bribes de philosophies nègres, des bribes de traditions irréversibles que rien ne pourra détacher de notre peau… » ; pour compter dans le grand concert des nations, ce n’est pas en imitant les instruments des occidentaux que nous pourrons jouer nos partitions mais en apportant aussi nos propres tam-tams.

Tantôt pensants tantôt victimes, Philippe Mory semble positionner ses personnages entre deux feux : tradition et modernité.

Deux feux qu’il ne semble vouloir éteindre ni attiser complètement. Mais ne nous méprenons pas, Philippe Mory est un chantre de la Négritude. Cela dit, il la chante avec la résonance de ses cordes vocales et la lorgne à partir d’un champ de vision bien à lui.

À la question « comment peut-on concilier la tradition et la modernité ? », ne nous attendons à aucune réponse, du moins il ne semble exister aucune méthode prédéfinie. Le réalisateur met en scène des personnages vivant et subissant ces mutations de diverses manières. Tradition et modernité sont placées à chaque extrémité d’un chemin ; les personnages évoluant sur ce dernier étant à des stades différents les uns des autres, ils se doivent de trouver un optimum : ne pas s’enfermer dans le passé tout en évitant de se faire happer brusquement par le tourbillon de la modernité. C’est une école de la vie qui semble ne jamais se terminer. Et là semble être toute la difficulté car cette solution « tradi-moderno-optimale » ne semble pas avoir vu le jour, du moins dans l’œuvre : accepter une part de modernisme c’est renoncer à une part de tradition et vice-versa. Que sommes-nous disposés à perdre ou à retenir, à écarter ou à rejeter ?

Abraham est un homme du XXe siècle, conscient des enjeux de la civilisation et de la nécessité de sortir des sociétés archaïques.

Mais il est aussi au fait de l’apport de l’Afrique noire à la civilisation mondiale et des dangers du modernisme (occidental) sur les valeurs traditionnelles africaines. Il en est de ce fait attaché tout en rejetant celles qu’il trouve dépassées. Il s’oppose à toute forme de modernisme qui conduirait les jeunesses africaines à oublier les tam-tams des anciens ; s’abandonnant dans une forme de mimétisme dont le prix à payer ne serait autre qu’un amer mélange de déracinement, d’aliénation, de perte à la fois d’identité et d’authenticité.

Il souhaite que son monde se hisse vers la modernité mais pas à n’importe quel prix. Il vit donc sur une frise « tradi-moderne » et à le situer, Abraham semble prisonnier à l’orée de deux mondes qui s’affrontent. Son choix de vivre à la périphérie de la ville ne semble pas anodin non plus. Il vit un double exil. Il semble trop progressiste pour vivre au village et paradoxalement peut-être trop garant des valeurs morales africaines pour côtoyer la société bien-pensante et outrancièrement extravertie. Il se tient donc à l’écart de celle-ci.

À l’une des extrémités de cette frise se trouve Monsieur Nguéma, personnage qui représente certainement le mieux les caractéristiques du monde occidental. Ses costumes, sa galerie d’art ainsi que son goût effréné pour le profit font certainement de lui l’archétype même de la société bien-pensante.

De l’autre, l’oncle Martial quant à lui, resté à quai, mène au village une vie paisible dans laquelle il semble se complaire et se tient à distance de la civilisation. Ce dernier a tout de même une opinion bien tranchée sur les égarements de la nouvelle génération et que devrait être l’attitude de cette dernière dans cette ère de choc civilisationnel. En témoigne son échange avec Abraham lors de son arrivée au village.

Bien que très virulent dans ses propos, qu’il s’agisse de mœurs dépassées ou de modernisme échevelé, Abraham semble moins l’être lorsqu’il échange avec son oncle. Il l’écoute longuement et tente d’apporter des nuances sans pour autant se lancer dans des envolées lyriques dont seul lui détient le secret. Cela prouve à suffisance qu’Abraham respecte les valeurs africaines, surtout s’agissant de son « dieu ». Même s’il trouve certaines coutumes dépassées, il semble ne pas se moquer non plus des conséquences de leurs transgressions. Pour exemple, lorsque Tante Ada leur demande de s’enfuir, à lui et à Cécile, ce dernier explique qu’il ne voulait pas prendre la femme à son oncle. De même lorsqu’il arrive à la ville avec Josy, il sait qu’il y aura une suite à cette affaire : « Tu habiteras ce décor en attendant la colère des dieux. Au village, quelque chose va certainement se passer ».

Ce que revêt l’idylle d’Abraham et de Cécile.

J’ai essayé d’analyser l’un des faits qui oppose Abraham à son oncle. Il s’agit du vol de l’épouse de l’oncle par le neveu. Puisqu’il s’agit ici de choc de civilisation, il nous faut donc évacuer une question importante : doit-on imputer cet acte aux errements du modernisme ?

Je me suis rapidement retrouvé dans la difficulté d’en apporter une réponse bien tranchée. Je l’ai donc posée à mon entourage et l’une des réponses a été la suivante :

« Je répondrais d’emblée non. Non, parce que des fables sur oncle et neveu à ce sujet existent dans nos sociétés traditionnelles. Ce sont des situations connues. De même que dans certaines coutumes africaines, le neveu pouvait hériter de la femme de son oncle après la mort de ce dernier. Il semblerait donc que cette fable est évoquée par le réalisateur pour présenter l’émancipation d’Abraham face à la servitude des traditions et le désir brulant de Cécile appelée par la modernité de la ville… »

Le rôle des femmes : entre tradition et double émancipation

Qu’elles décident de s’émanciper ou de rester ancrées dans leurs traditions, les femmes tiennent une grande place dans l’œuvre de Philippe Mory. On croirait qu’elles sont la base, le socle dans lequel les valeurs traditionnelles se pérenniseront ou celles par lesquelles le modernisme tuera l’authenticité et l’identité africaine. Elles semblent plus tranchées que les hommes à porter les valeurs traditionnelles, pour celles qui le souhaitent, ou alors à les rejeter et à s’émanciper totalement pour celles qui désirent vivre comme des « Blancs ». Elles semblent avoir une grande ouverture d’esprit. Mais s’arrêter à cela, serait minimiser la lutte des femmes dans cette œuvre. Autant les personnages sont entre deux feux, autant Abraham vit un double exil, autant les femmes doivent faire face à une émancipation double. Il ne s’agit pas non seulement de s’émanciper des traditions dans un choc civilisationnel mais aussi de penser à leur propre émancipation en tant que femmes. Et cette émancipation tant recherchée par les femmes ne se présente pas dans l’immédiat, le modernisme semble en être une voie. Aussi, elles semblent faire preuve d’une très grande lucidité : c’est de la bouche même de Josy que nait une féroce critique de la Négritude.

Tante Ada. Cette dernière semble incarner la matrice de la femme africaine, du moins telle qu’elle est considérée à cette époque. Elle n’est pas qu’une épouse ou une rivale, c’est une mère, aussi bien avec ses neveux qu’avec sa rivale Cécile. Elle semble vivre dans le respect des valeurs morales africaines sans pour autant craindre l’arrivée de la civilisation. Elle semble tout aussi tenir à cœur son rôle de première femme auprès de l’oncle Martial. Lorsque l’idylle de Cécile et d’Abraham est découverte, elle aurait pu s’en servir pour causer du tort à sa rivale mais, au contraire, elle aide les deux tourtereaux à s’enfuir. De ce fait, en retour, Cécile l’écoute, ainsi qu’on peut l’entendre de la bouche même de l’oncle Martial « Et puis Cécile t’écoute ». Pour rester sur cet épisode, il est utile de faire remarquer que l’oncle Martial se complait dans son monde, pour cela il envoie sa femme Ada en justifiant « Parce que c’est toi qui connais bien la ville. Et tu trouveras plus facilement la maison d’Abraham ». Prouvant ainsi que Tante Ada est mieux prédisposée à affronter la ville et la modernité. Elle fait figure d’autorité quand elle demande à Josy de parler de son oncle avec un peu de respect ou quand elle met fin à la chamaillerie de Josy et Abraham. Elle est aussi compréhensive, elle ne s’oppose pas à la décision de Cécile.

Tante Ada, par sa patience et son sens de l’écoute, semble être une interface, le décodeur qui permet au monde traditionnel de l’Oncle Martial de communiquer avec le monde moderne d’Abraham.

Josy. « Africaine émancipée », « déracinée, exemple même de l’aliénation mentale » selon les propos même de son frère, elle a fait le choix de rompre totalement avec les traditions de ses ancêtres pour assumer le mimétisme total de la société occidentale. Elle est le plus en avant vers la modernité et semble en avoir bien cerné les contours et les mécanismes bien qu’aliénant aux yeux de son frère : le profit, les soirées en discothèque, la prostitution, la liberté sexuelle…

Josy a fait un choix, elle veut vivre sa modernité comme elle l’entend et pense que « des personnes comme Abraham devraient leur foutre la paix avec leur négritude » bien qu’elle semble de temps à autre consciente des illusions portées par ce monde.

Mais qu’à cela ne tienne, Josy a eu le temps de réfléchir sur ces sujets et renvoie son frère aux utopies de la négritude quand ce dernier la barricade dans les illusions du modernisme. À la question « qu’elle destination pour la race noire ? », elle répond sans hésiter « Soyons réalistes Abraham, je n’ai connu que des Noirs qui voulaient vivre comme des Blancs, jamais le contraire ! Le monde nouveau a chassé nos traditions, subordonné notre pensée, les tam-tams de nos ancêtres ont changé de langage ou ils se sont tus. Vois-tu une autre destination pour la race noire ? Moi je ne veux pas la connaître, je me plais encore sur terre… »

 Malgré tout, il faudra noter que c’est cette dernière qui décide de prendre Cécile en main et qui au final lui demande de partir avec elle quand cette dernière décide de ne plus rentrer au village.

Josy a totalement rompu avec la tradition et une question, qui elle-même en appellera d’autres, peut légitimement se poser : jusqu’où est-elle allée ?

On remarque que Josy vit en ville, elle ne se rend plus au village. Même pour le retrait de deuil de son père. D’ailleurs au retour de son frère, elle ne semble même pas lui demander comment se sont déroulées les festivités. En effet, leur père est décédé depuis deux ans et Josy semble en avoir fait le deuil comme elle l’a fait de la tradition qu’elle a enterrée. On pourra aussi noter qu’à aucun moment l’oncle Martial ne demande des nouvelles de sa nièce.

Mais malgré son émancipation, il faut reconnaître à Josy quelques bribes de traditions africaines qui persistent dans son ADN. Par exemple, les marques de respect qu’elle porte à Tante Ada.

Cécile. Elle doit évoluer entre ces deux mondes et trouver sa place au beau milieu de toutes ces gens. Cécile, bien avant sa rupture avec le monde traditionnel, est cette femme qui rêvait de la vie à la ville tout en restant attachée aux valeurs de sa tradition. Bien que pour certaines, elle les a respectées sans se poser de question (par exemple, quand il s’agit de son mariage avec Martial), elle semble vouloir respecter les valeurs de sa tradition sans mimétisme mais en connaissance de cause. Par exemple lorsqu’elle reproche à Abraham de ne pas respecter les traditions ou alors quand cette dernière explique à Josy les illusions du monde traditionnel, et même, au final, quand elle s’en va avec Josy, elle a un sursaut de valeurs traditionnelles « On ne va pas quand même les laisser comme ça ».

Cécile n’est pas que spectatrice, elle tente de trouver des solutions aux difficultés qu’elle rencontre. Tout d’abord, c’est elle qui explique à Abraham qu’elle peut rester avec lui s’il rembourse la dot de son oncle, conformément à la tradition. Elle a aussi à sa façon son mode de vie. Elle va à l’église.

Aussi, même après s’être émancipée, c’est elle-même qui répond à Tante Ada qu’elle ne rentrera pas au village. Elle a prévu l’argent pour rembourser elle-même la dot de l’oncle Martial. L’émancipation et la rupture de Cécile d’avec son monde se sent plus nettement, elle ne fait plus référence à son mari en parlant de « l’oncle Martial » mais de « Martial ». Sa métamorphose se sent. On est loin de cette jeune femme, huitième épouse d’un homme ou alors cette femme dépendante de ce qu’Abraham voudrait bien lui apprendre des choses de la ville. Cécile s’est prise en mains, elle est autonome et décide pour elle.

Abraham et le monde occidental : tentative d’analyse de l’échange entre Abraham et le militaire français.

« Qu’est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus… »[1]

Abraham semble nourrir une certaine méfiance à l’égard des occidentaux, ou alors, sachant que « l’homme blanc ne sert que ses intérêts », il est humainement obligé de penser aux siens. En témoigne son échange avec le militaire français. Abraham n’est pas dupe et semble bien vouloir le faire entendre à son interlocuteur. Pour cela, contrairement à ses prises de position avec d’autres personnages, Abraham semble poser d’emblée les cartes sur la table « Je sais monsieur que vous me voulez du bien. Que Dieu vous bénisse. Et maintenant que la glace est rompue, que me voulez-vous ? » comme s’il poussait un pion sur un échiquier. Mais l’une des prouesses d’Abraham reste tout de même de forcer le respect de son interlocuteur afin qu’ils puissent discuter à armes égales. Dans une forme d’ironie alliée à une forme de cynisme, ce dernier semble lui passer le message pour lui signifier qu’il connait l’histoire et qu’il est au courant, d’une certaine manière, du « troc de la bible contre les terres ».

« Autrefois, là-bas au lac …, j’étais ami avec le Blanc / Et la canaille m’a conduit sur le mauvais chemin / En me demandant de lui montrer comment plonger dans l’eau / Ah ! Mais quelle est donc cette manière d’Européen ? mon beau pagne en ficus ! / Remontant à la surface / Je vois le Blanc avec mon pagne relevé et passé entre les jambes, le voleur / Me voilà à la poursuite de mon pagne en ficus / Et lorsque je suis apparu sur la petite colline on m’a pris pour un fou / … / Assemblée de civilisés, ne prends donc pas plaisir à voir l’autre tout nu sur la place /… / Esprits de nos ancêtres, nos mères, nos pères et nos enfants comprenez bien, les français ont pris le pays : si tu te baignes avec le Blanc ne plonge pas ta tête dans l’eau… »[2]

Aussi, sachant qu’il s’adresse à un militaire – mettre en avant sa médaille pour un fait de guerre – il semble vouloir lui prouver qu’il a été un vaillant soldat. Par la même occasion, il lui annonce que ce « morceau de fer » lui a été remis pour remplacer son ami « blanc » mort au front. Ce qui donne l’impression qu’Abraham évacuerait ainsi toute interprétation de racisme antiblanc.

Dans cet échange, Abraham semble donc utiliser les armes occidentales si nous nous fions à la critique qui lui sera formulée par sa sœur bien plus tard « Mais mon cher, les mots importés que tu manies si bien, j’en conviens, sont aussi une menace… ». Mais qui lui en voudrait. « Le héraut de l’âme noire a passé par les écoles blanches, selon la loi d’airain qui refuse à l’opprimé toutes les armes qu’il n’aura pas volées lui-même à l’oppresseur ; c’est au choc de la culture blanche que sa négritude est passée de l’existence immédiate à l’état réfléchi », Écrivait Sartre dans Orphée noir.

Ainsi, par l’éloquence, la rhétorique, la maîtrise de la langue française, Abraham semble retirer les armes de son interlocuteur et lui fait comprendre subtilement que c’est un intellectuel. Dans cette même discussion, Abraham lance une critique féroce vis-à-vis de la société bien-pensante, il analyse avec lucidité le monde qui l’entoure, ses interactions avec les autres et celles des autres avec lui.

Cette scène semble à elle toute seule une démonstration de force, comme si ce dernier rejouait la rencontre de leurs ancêtres. Mais dans leur temps. Bien qu’ayant forcé le respect de son interlocuteur, Abraham n’est pas dupe, il sait que le monde a changé et qu’au-delà de toute idéologie de domination et d’agression, son monde se doit d’avoir des échanges intellectuels, culturels, commerciaux et économiques avec les « pays amis-amis ». Il accepte donc la commande de son interlocuteur auquel il impose tout de même un délai. Il impose ainsi les termes de l’échange.

Cheryl ITANDA

[1] Jean-Paul SARTRE, Orphée Noir.

[2] Traduit de la chanson Lababa de Pierre-Claver Akendengue

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