Ces Pages qui manquent du Groupe CRC ou le renouveau du rap élitiste

Ces pages qui manquent du groupe CRC ou le renouveau d’un rap élitiste

Bwiti Gang, Mc Essone, Andgo & Nguema Ndong, sont aujourd’hui les visages du renouveau du rap gabonais, ramené à son essence. Dans le même sillage, on retrouve le crew Conscious Rythm Chapter (CRC). Dans la tradition des grands collectifs de rap, ces rappeurs forgent déjà une identité. Le Chant de Powê a écouté leur deuxième album. Découverte.

Lentement mais sûrement, le rap gabonais retrouve ses sentiers vertueux d’antan. Loin de la doxa populaire qui crie à hue et à dia que le rap est mort ou encore que c’est le retour de ce dernier, disons que le rap gabonais s’est juste recroquevillé le temps de revenir en force, de se poser les bonnes questions. Reconfiguré, c’est désormais un rap hors de portée de la vulgate, loin du bruit ambiant : rap devenu élitiste. Ne l’écoute pas qui veut. Un rap qui mise sur l’écrit et cet art inimitable de raconter la cité moderne. Un rap qui parle à la masse pour en faire une masse critique loin des transes épileptiques des bassins. En somme, le rap gabonais n’est plus à la disposition de tous mais il est désormais réservé ‘’pour ceux qui savent’’. . .

Après un premier album, le Conscious Rythm Chapter (CRC) revient avec Ces pages qui manquent. À plusieurs niveaux, l’album nous réconcilie avec la bonne vieille tradition du rap : intro, interlude, outro. Voilà pour le découpage séquentiel. Boom bap à fond, scratches, featurings, remix voilà pour le ton. Les textes ciselés, storytelling à l’appui, le tout sur fond de discours sociopolitique. Le cocktail est complet. Les 17 titres qui composent l’album ont de quoi ravir le public le plus large qui soit. Avec Ave Paria, l’album est lancé. Le titre est conçu au son d’une marche impériale, un hymne pour les laisser pour compte qui n’ont pas l’intention de s’en laisser conter ni de se laisser démonter par un système d’exclusion, car disent-ils, ils ‘’marchent la tête pleine’’. Le rythme est entraînant et militant. Ce n’est d’ailleurs pas une idée folle d’en avoir fait le clip[1] promotionnel de l’Album. Toutefois, sur le plan de l’écriture, les Mc’s ne déploient pas pour autant la plénitude de leurs moyens.

Dans le titre J’avance ou je recule, l’auditeur rentre dans le vif du sujet : les Mc’s reviennent sur le contexte politique gabonais post-août 2016. Ce qu’il en ressort est d’une pertinence pédagogique. Alors que certains ont pris la liberté de tancer le Gabonais sur sa passivité, eux viennent mettre en lumière le récit d’un dilemme profond qui traverse chaque concitoyen engagé dans un processus de résistance. Morceaux choisis : les lyrics désignent d’ailleurs par ‘’Orphelins du changement’’ tous ces Gabonais désireux de vivre une alternance politique. Par ailleurs, dans le fil d’actualité du déroulement du fameux scrutin électoral, le titre ne manque pas de traduire son aversion d’un régime honni : ‘’Ce monstre est réélu vient nous dire Pacôme’’. Mais il ne suffit pas de traiter d’un sujet politique pour avoir l’assentiment des observateurs du rap. Il faut aussi un maniement singulier de la langue. Toute chose qui se traduit à travers ces rimes ‘’Tout ce qu’il faut là c’est à juste titre foncer. Un terrain d’entente quand la haine elle aura des titres fonciers. Dois-je avancer sachant que je pourrais perdre la vie? Faut-il reculer sachant que je serai père et la vie des miens compte ? »

Mais il serait réducteur de limiter l’album à cet ancrage sociopolitique. Au milieu de cette fournaise politique, il invoque aussi l’âge béni ou disons-le le souvenir d’un paradis déchu à travers le titre L’Âge doré. Titre à travers lequel on peut d’ailleurs lire cette phrase qui à elle seule résume bien cette insouciance qui a accompagné certaines heures de l’enfance : ‘’Je repense à quand mon bonheur se résumait à un épisode de Tom & Jerry’’.

Comme dans la vie de tout homme et jeune en l’occurrence, les histoires de cœur viennent jalonner un parcours a priori chaotique.  Les amours de jeunesse sont souvent traversées par les suspicions, les commérages et on-dit. Ce qui laisse cours à toutes les interprétations voire à des ruptures ou à des fins malencontreuses. 77 fois est un titre de cette veine-là.

Interprètes d’un présent agité, les poètes n’auraient pu mieux faire que de traduire aussi cette société du déni où l’on nie toute évidence. Société où pour maintenir ses avantages on est prêt à mentir allègrement quand tout nous invite à la réalité. Aussi est-il possible de penser que le titre République parallèle exprime en toile de fond ce déni de la réalité dont la formule ‘’ c’est un non-évènement’’ fut pendant un temps un moyen d’éloigner les gens du réel.

Il est évident qu’avec CRC, le rap gabonais a de beaux jours devant lui. Après des années de latence, il revient peu à peu alors que commence le temps des vérités que seuls les rappeurs peuvent valablement étaler. Un album qu’il faut forcément avoir dans sa discothèque si on veut appartenir à une certaine élite, si on veut être de cette masse critique et non pas de la masse assujettie au divertissement dévergondé. Album disponible en téléchargement sur https://fanlink.to/CRC_CPQM?fbclid=IwAR1_MFurRaV-8ou3qeNALzruPI6UsLZO1bClRmYKIrrK1D5KiB2aNlerwjA

Le Presque Grand Bounguili

Contributeur externe: Abderl-Jaward Bokoum pour Gstoremusic

[1] https://www.youtube.com/watch?v=FDmYpk6Cos0

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