Grégory Ngbwa Mintsa : chronique d’un Indigné fondamental

À travers cette chronique, nos lecteurs pourront lire le récit d’un personnage romanesque au destin tragique. Toutefois, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la lecture de L’Indigné n’attriste pas son lecteur mais bien au contraire le ragaillardit. Bonne lecture.

 

Un homme à l’épreuve de la misère

L’ouvrage L’Indigné est échu dans nos mains. Enfin! Nous l’avons patiemment parcouru et ce qui s’en dégage force le respect. Ce livre surgit en effet à une époque où le défi urgent de notre mémoire nationale, de sa narration et des conditions de son inscription dans le temps long reste à l’état embryonnaire. C’est aussi l’époque où écrire constitue pour certains une des nombreuses tactiques d’entrance alors que pour d’autres – c’est le cas de nos auteurs – cela reste du domaine de l’utilité public. Mieux, c’est l’époque où ceux qui portent en bandoulière le statut d’écrivain espèrent pour la plupart que la parution de leurs ouvrages s’accompagne de confettis et autres flan flans dignes d’un monarchique satrape de Zamunda débarquant dans le Queens. Époque d’un marais littéraire où la critique qui doit amener le peuple vers la littérature l’en éloigne. Parce que pour certaines braves gens, critiquer un livre ou en parler simplement, c’est godiller ou jargonner des épithètes ngaliennes ou des ritournelles deleuziennes. L’époque de la Misère. Ce contre quoi finalement Grégory Ngbwa Mintsa s’est un jour insurgé.

Cette médiocrité, les auteurs de L’Indigné la refusent d’emblée. D’abord, en s’emparant d’une figure qui a manifesté son héroïsme contemporain à travers les divers canaux de son temps. On leur en saura gré alors quand on sait que malgré le fait de séjourner durablement dans nos mémoires, certains héros contemporains ayant initié, prospecté et orienté un avenir radieux pour le Gabon sont quasiment absents des récits hagiographiques : malgré la stature intellectuelle et l’influence politique de ses compagnons de route, comment comprendre que Rendjambe Joseph n’ait pas encore bénéficié d’une telle attention? Tout compte fait, sa descendance est déjà au banc des accusés. À minima. Et donc Amoan Pambo et Dia Alihanga, par cette œuvre, opèrent déjà à ce niveau une rupture d’avec l’ordre ancien qui ne sait pas rendre hommage ou réhabiliter la mémoire de ceux des plus méritants d’entre nous.

Personnage romanesque, destin tragique

Ainsi que le montre l’iconographie ornant l’œuvre, on pressent déjà un homme dont le charisme et l’acuité du regard refuseront résolument de dire autre chose que le triste spectacle d’une certaine condition, un refus donc d’une société de la complaisance fabricant des inégalités criardes.

Les auteurs ont eu bon de rapporter l’itinéraire de cet objecteur de conscience, (é)veilleur de la République, à travers le prisme d’une narration romanesque. Celle qui permet une immersion, la plus intimiste, dans l’action de Grégory Ngbwa Mintsa. Mais cette narration conduit surtout le lecteur aux fondements de son indignation. Cette dernière est marquée par la prise de conscience – comme c’est toujours le cas sauf à être aveuglé d’égoïsme – entre ses origines aisées et l’extrême pauvreté du plus grand nombre de ses concitoyens. L’ouvrage a encore le mérite de resituer certains personnages politiques trop vite blanchis et érigés en sauveurs alors qu’ils ont été, du temps de leur obscure splendeur, les bâtisseurs de l’iniquité à grande échelle dans cet espace enserré par les tentacules de l’ordre néocolonial qui n’est pas que français. Loin de là. André Mba Obame, changelin politique devenu Moïse, fera-t-il oublier son goût presque zélé et presque érotique de la force publique pour embastiller même son camarade de classe que fut Grégory? S’il n’y répond pas, le livre n’en appelle pas moins à une généalogie des trajectoires et donc à rester lucide face aux vestes politiques que l’on retourne au moindre vent marin. Et si on n’insulte pas les morts, on peut au moins analyser ou lire – PUISQU’IL FAUT LIRE – les actes de leur vécu et leur agir politiques notamment…

La vie et l’engagement de Grégory Ngbwa Mintsa pourraient se résumer en trois aspects quasi conceptuels : leader « holiste », intellectuel hérétique, Grégory Ngbwa Mintsa est surtout l’incarnation de cet « individualisme altruiste » camusien.

Son leadership a consisté à s’émanciper des formes éculées des appareils politiques qui ont fait (et font encore?) le jeu du pouvoir dictatorial en place au profit de sombres desseins égoïstes et d’intentions vénales. Mba Abessole, Kombila Koumba sont de cette catégorie.

Écrivant à l’encre et parfois en lettres de sang, l’éclectique animateur d’Africa No1, a compris, nous disent les auteurs, la nécessité d’envisager les problématiques locales en tenant compte de leurs lointaines ramifications tout en suscitant auprès des masses une prise de conscience collective : « Un leadership qui inspire chacun et l’ensemble à se percevoir avec un regard nouveau, une aspiration nouvelle ». Un tel leadership invite aussi à ranger de côté les considérations sociolinguistiques et des fantasmes s’y référant : dépasser le cap de ‘’l’ethnie’’.

Dans un pays où prospèrent les églises de tous bords qui réclament à hue et à dia la réouverture des lieux de culte en temps de crise sanitaire, la figure de Grégory Ngbwa Mintsa ne rappelle pas moins la nécessité de prendre des distances avec notamment l’exploitation de cet ordre dont presque toutes les confessions ont fait allégeance au bongoïsme à travers une certaine grand’messe au gymnase Omar Bongo. La misère vous dit-on. Temps des traitrises dont il fallait se défaire pour envisager le Gabon en combinant la croyance en un Divin et la volonté de ce dernier de voir ses créatures libres et non sous le joug de quiconque.

Prenant à témoin l’Histoire – la petite et la grande en fait – il accepte d’être partout le pestiféré honni de la fratrie, abhorré par les esprits, obtus, routiniers et talibans dont les combats n’avaient en réalité que des convictions alimentaires.

Comme tout grand homme, comme tout intellectuel pratique, il laisse un héritage qui porte un nom : le PATRIMONICIDE. Soit le crime insidieux, pernicieux, vicieux que les satrapies d’Afrique notamment commettent à cœur joie sans craindre personne. La mort à petite dose dirait Achille Mbembe. Cette mort lente qui prend forme à travers le détournement de fonds alloués à la construction d’un dispensaire, la pratique dévergondée non plus de l’ascenseur mais plutôt de la « catapulte sociale » (sic). Linguiste de formation, Grégory Ngbwa Mintsa savait mieux que quiconque les enjeux de la langue et le pouvoir des signes sur les choses. Et c’est dans celle-ci qu’il a créé le déclic en nommant les incongruités politiques tropicales. C’est aussi dans cette langue que les auteurs ont offert à la postérité une des pièces à conviction du tribunal de l’histoire – la grande cette fois – à venir.

Combat ordinaire d’un héros extraordinaire

Un peu trop romanesque, l’ouvrage passe un peu à côté de sa dimension documentaire et testamentaire, si bien que les écrits de l’Indigné fondamental passent quasiment inaperçus notamment la période abrasive des années du journal Le Bûcheron. Plusieurs fois comparés aux figures tutélaires des grandes luttes d’émancipation des peuples opprimés, les auteurs oublient que l’apparente « petite nature » de Grégory n’est pas sans rappeler le héros akendenguéen dont la silhouette fragile s’allie à la verticalité des convictions intellectuelles, éthiques et morales : frêle, souvent seul, trop vite au courant de tout, lanceur d’alerte, il reste debout malgré les monts devant lui. Grégory c’est Poê, c’est Esseringuila, c’est encore Maronghè : comme eux, PaGré était « grand par les sentiments », comme eux, il refuse d’être « ministre de la tribu des caméléons », comme eux, il a compris la nécessité de mutualiser les efforts de lutte, et comme eux, il fait l’expérience de la mort pour mieux rentrer dans la félicité de la postérité alors que d’autres, prétendument puissants ici-bas, meurent. Banalement. Et c’est cette dramaturgie que la nation qui vient récitera. Car un peu comme l’oiseau prémonitoire, annonçant la pluie, Grégory est l’engrais séditieux, insurgé, dont les bourgeons essaiment déjà, préparant ce « quelque chose qui doit venir ».

LPG BOUNGUILI

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