Place du Trop Cas, le livre qui parole

C’est probablement le défi de la poésie à notre époque : rendre aux mots ordinaires, ceux de tous les jours, leur force, leur pouvoir d’évocation, leur magie. C’est en cet état de poésie que Nanda nous offre son second recueil poétique, un souffle en mutation d’une artiste sur la voie de l’accomplissement, faisant la part belle à l’efficacité de la langue pour percer le cœur de ses lecteurs. On peut évidemment espérer mieux de Nanda tant on perçoit bien que son écriture reste encore un peu trop affectée par une actualité nationale qu’il faudra tôt ou tard transcender par la sublimation du langage.

Sublime poétesse, chanteuse de talent, Nanda traduit dans cette œuvre un troisième pan de son « identité intellectuelle » à savoir slameuse altruiste et engageante : une artiste en somme. Engageante au sens sonyen[1] du terme. En effet, qu’on lise Nanda ou qu’on l’écoute, une seule envie nous vient : se lever puis marcher et crier. Se lever contre l’infamie, marcher pour sa patrie et crier son indignation face à la barbarie ou encore pour maudire les errements du genre humain.

 

Quand vous lisez entre les lignes, vous retrouvez cet allant, cet entrain à la militance, à la mobilisation. D’abord parce que, bien que porteuse d’idéaux, la poétesse n’en reste pas moins lucide. C’est aussi à cela que la poésie pourrait servir : scruter avec lucidité notre présent. Alors entre les récriminations à l’endroit des politiques des ténèbres stériles, elle dépeint férocement, sans concession ses congénères. Elle remet en perspective une lutte qui a aussi le malheur d’enfanter, hélas, les aveuglements. La liberté, on l’avait oublié, peut aussi éblouir. Peut donc aveugler.

L’œuvre se signale par son hybridation : tantôt théâtre, tantôt slam, tantôt poésie, c’est un véritable forum de la parole. Comme elle le dit, la poétesse ne parle pas, mais elle « parole ». Elle privilégie notamment la parole, le dire. Si bien qu’on prend aisément plaisir à la lire. On lit comme on est présent à spectacle de textes déclamés. Une parole? Pas n’importe laquelle. Une parole qui sort tout droit de la chair et du cœur du peuple : simple, efficace, poignante.

Place du trop cas. Le jeu de mots est évident. La place du Trocadéro à Paris évoquée allusivement, est ce haut lieu, cet épicentre des cris colériques et indignés du peuple gabonais notamment de sa diaspora. Plus que jamais chargé de symbole, ce lieu parisien est ici convoqué pour inscrire la longue marche de ce peuple indéfiniment spolié. Lieu symbolique d’une résistance qui n’a pas renoncé à briser le joug de la dictature et de l’impéritie de ses projets.

Outre le fait de galvaniser ce mouvement de résistance à travers des poèmes-hymnes (« Résistance », « Par vie des droits de l’homme », « Faire diaspora », « Courage citoyen »), Nanda scrute également le mouvement de l’intérieur pour l’extirper des chemins tortueux qu’il emprunte parfois, mouvement où les ambitions égotiques, les « fadaises » supplantent parfois les communes préoccupations. Aussi, les textes « À l’ego rit », « Querelles intestines », « Sur le terrain » viennent railler une certaine résistance qui ne brille plus que par ses travers et ses bouffonneries.

Mais comme l’indique la sombre couverture, Place du trop cas, poétise aussi un deuil et ce n’est pas un hasard s’il est question de « la nuit » qui s’installe dans les premiers mots du recueil. Aussi, la Place du Trocadéro symbolise également le névralgique carrefour Rio de Librevillois, là où, selon les mots de Pierre Claver Akendengué « il se passe toujours quelque chose », cette place forte de la contestation, comme par enchantement trouve son excroissance à Paris. Le Carrefour Rio étant assiégé par les flics aux ordres, les manifestations y étant prohibées, c’est à Paris désormais que s’exprime l’indignation des Gabonais. À la manière d’une prise de conscience que le pouvoir ne peut plus contenir indéfiniment l’ire gabonaise se manifeste en tutoyant la tour Eiffel. Et comme habitée par l’esprit intranquille de Mboulou Beka, ce cas de trop tombé au Carrefour Rio sous les balles despotiques, la poétesse traduit la transe d’une conscience en éveil, partout où la liberté est une garantie citoyenne.

Aussi, telle une ritournelle, la poésie de Nanda s’insinue en nous pour raviver les flammèches de résistance et les foyers d’espoir sur le point de s’éteindre. Pour ce faire, elle « parole » à travers des expressions qui piquent la curiosité telles que « anus facial », « sursaut d’audace », elle reprend les hymnes résistants, comme pour maintenir en vie la flamme de la liberté qui dans son périple est chahutée de toute part et donc menacée d’extinction. Poésie altruiste, les mots de Nanda militent pour une forme d’engagement qui refuse de se regarder le nombril, car « Faire trop attention à soi / C’est oublier les autres / Et parce que les autres c’est nous / C’est donc s’oublier ». Et à ceux qui cherchent une définition de la résistance, la poétesse renvoie à un poème-bréviaire duquel on retiendra que résister est « une raisonnable folie » en même temps que c’est « un devoir d’humanité ». Alors lecteurs, devenez raisonnablement fous et répondez au devoir qu’exige votre humanité. Lisez Place du trop cas et goûtez à l’art de paroler.

Bounguili Le Presque Grand

[1] « À ceux qui cherchent un homme engagé, je propose un homme engageant ». Sony Labou Tansi, La Vie et demie, 1979.

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