L’Afrique et ses Diasporas en 5 chansons : Un éternel va et vient.

Cette chronique musicale explore le lien permanent que l’Afrique entretient avec ses diasporas. Entre emprunts, plagiat, reprises et redécouvertes, la musique africaine est le témoignage de son histoire et de ses brûlures, de son génie et de son imaginaire intarissable.

Les épisodes sombres de l’histoire et les effets d’une narration souvent malhonnête des faits peuvent causer un vrai malaise au sein d’une communauté. C’est ce qui pourrait sans doute expliquer la méconnaissance des africains quant aux afro-descendants dispersés aux quatre coins du monde mais également le rejet ou la peur de ces afro-descendants vis-à-vis de l’Afrique.

Heureusement, certains enfants du continent-mère tentent de conserver leur essence africaine, notamment par la musique. Cette musique qui va partir de l’Afrique pour influencer le monde et revenir ensuite pour ré-influencer tout le continent. C’est de cette façon que certaines questions délicates arrivent à être abordées depuis plus de 100 ans maintenant. Nous avons donc décidé de faire un focus sur 5 chansons qui ont permis à l’Afrique et ses enfants de se parler le temps d’une émotion.

1 – « El Manisero », Composé en 1928 par Moisés Simons (Compositeur espagnol alors installé à Cuba)

El Manisero est une de ces chansons qui traverse le temps. C’est en se baladant un soir dans les rues de Cuba que Simons s’inspira d’un chant que scandait un vendeur d’arachides afro-descendant pour composer ce qui deviendra une des compositions les plus connues et les plus reprises au monde. Cependant, le chemin de cette chanson ne sera pas simplement « Pop » car elle fera partie d’une série de compositions qui arrivera en Afrique à partir de la fin des années 40 et qui servira de fondation dans la création du High-life en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigeria). C’est ainsi que dans les années 60, Jim Rex Lawson, inspiré par les bases rythmique et mélodique de El Manisero composera un des plus gros tubes de High-life « Sawale ». Plusieurs décennies après, c’est la nouvelle génération africaine et le monde qui va redécouvrir les couleurs africaines de cet hymne tout droit venu de Cuba grâce au chanteur nigérian Flavour N’nabania qui en fera un tube Afro-Pop/High-life en 2011 avec un remix envoutant. C’était « Nwa Baby (Ashawo Remix) »

2 – « Soul Makossa », Manu Dibango

En 1972, se déroule la 8ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations et Manu Dibango qui est déjà une énorme star dans son pays le Cameroun décide de composer l’hymne de la compétition pour le compte des Lions indomptables. Le ministère des sports lui donne alors la somme de 1.000.000 francs CFA et il compose cet hymne qui sortira en 45 tours. La Face B étant vide, il fait le choix d’y ajouter une exclusivité. Il s’inspire alors du rythme Makossa en y infusant une couleur plus Soul. Pour les paroles, il a l’ingénieuse idée de traduire le mot Makossa en « Javanais », une langue ou jeu que les enfants s’amusaient à utiliser pour déformer les mots. C’est l’équivalent gabonais du « Vagabon ». Soul Makossa est né. Le single Makossa est distribué gratuitement au Cameroun mais par suite de leur défaite face au Congo, les supporteurs n’en veulent plus. Toutefois, Manu enregistre un album en France et présente Soul Makossa comme lead single, qui se vendra plus ou moins à 50.000 exemplaires uniquement en France.

La chanson est alors découverte par des afro-américains de passage à Paris et en 1972, c’est David Mancusa qui découvre le single dans une discothèque de Brooklyn et décide de faire passer Soul Makossa dans ses fêtes privées. La chanson est appréciée et quelques disques circulent dans les milieu noirs de New-York, notamment dans une radio mythique de la communauté Afro-américaine, la WBLS. Manu Dibango obtient un contrat chez Atlantic Records et en 1973, Soul Makossa atteint la 35ème place des ventes de singles sur le Billboard Hot 100 et la 21ème place sur Billboard Hot Soul Singles américains. Manu démarre alors une tournée américaine et se fait inviter par le groupe The Temptations pour une première partie. Dans les années 80, Micheal Jackson, sans l’autorisation de Manu Dibango reprendra Soul Makossa et cette histoire finira par un règlement à l’amiable. Bien que pas très honnête, cette reprise de Micheal Jackson prouve à quel point cette chanson partie du Cameroun a réussi à s’implanter dans la culture afro-américaine.

3 « Zouk-la Sé Sel Médikaman Nou Ni », Kassa’V

Avant les années 80, la musique des Antilles française était assez méconnue du public africain. Le premier grand rapprochement musical entre les afro-descendants des DOM-TOM et les Africains s’est effectué grâce au groupe Kassa’V. C’est en 1985 qu’ils mettent les pieds en Afrique pour la première fois et ce contact va complètement transformer le continent. En 1984, Kassa’V sort leur tube « Zook-la Sé Sel Médikaman Nou Ni » et c’est un véritable « Tsunami musical mondial ». En Afrique la chanson est un succès hors-normes et le public de certains pays qui ne parle et ne comprend rien du Créole s’amuse à transformer les paroles en « j’ai mangé un demi-kilo de riz ». Entre 1985 et 1988, le groupe se produira à Kinshasa, Dakar, Yaoundé et surtout en Angola qui était en pleine guerre.

Ce passage en Angola sera si marquant qu’il conduira notamment à la création de la Maison du Zouk (musée réservé à cette musique). Le succès de Kassa’V va tellement influencer l’Afrique que la réponse du continent sera quasi immédiate avec la naissance de l’Afro-Zouk. Un Zouk plus africain par les rythmes ou les langues et porté par 2 principaux artistes. Oliver N’Goma du Gabon et Monique Seka de la Cote d’Ivoire. En outre, l’arrivée de Kassa’V en Afrique a aussi déconstruit les idées reçues sur les Antillais. Pour beaucoup d’Africains de l’époque, tous les habitants des Antilles étaient métis à la peau claire et aux cheveux défrisés. Kassa’V a réussi à donner un coup de projecteur à ces Antilles diverses et riches de leurs identités multiples.

4 – “Voodoo Child (Slight Return)”, Jimi Hendrix

Vous trouverez certainement que cette chanson ne devrait pas figurer sur une liste pareille vu qu’il s’agit d’un classique du Rock moderne mais replaçons les choses dans leurs contextes pour mieux comprendre son impact, même minime. En Mai 1968, Jimi Hendrix est au sommet de sa carrière. Il est l’un des musiciens afro-américains les plus connus et respectés et il est en plein enregistrement de son 3ème album. Il se retrouve en studio avec le batteur et percussionniste Mitch Michell et se met à improviser des riffs sur sa guitare. « Voodoo Child » apparait. Dans l’ensemble, la production donne une sensation très spirituelle voire incantatoire mais l’élément le plus frappant reste le texte dans lequel Jimi revendique son appartenance au « Vodoun » en scandant « I’m a Voodoo child – Lord knows I’m a Voodoo Child », traduisez « Je suis un enfant Vodoun, Le seigneur sait que je suis un enfant Vodoun ». Il faut se rappeler que pendant l’esclavage et la colonisation, les religions et les spiritualités africaines ont été diabolisées par les colons. Jusqu’à présent les afro-descendants et certains africains ont très honte et peur de cette partie de leur héritage. Dès lors, le fait qu’un musicien afro-descendant aussi important que Jimi Hendrix revendique son appartenance au « Vodoun » était non seulement sans précédent mais très pertinent dans le sens d’une réhabilitation de l’identité négroafricaine.

D’une certaine façon, cette chanson a permis d’ouvrir un débat et de susciter un certain intérêt des afro-américains à l’égard des spiritualités africaines. La réponse à cet appel du « fils prodigue » s’est faite plus de 25 ans plus tard, lorsque la chanteuse Angélique Kidjo, originaire du Benin, berceau du Vodoun, décide en 1998 de réadapter ce titre en y intégrant des chants traditionnelles en langue Fon.

La boucle est bouclée !

5 –  « River », IBEYI       

IBEYI est un groupe composé de deux sœurs jumelles Afro-Cubaines. Cuba est connu pour avoir extrêmement bien conservé son héritage africain. IBEYI est l’esprit protecteur des jumeaux dans la culture Yoruba et le fait que ces afro-cubaines choisissent de porter ce nom est déjà très révélateur de la valeur qu’elles donnent à l’Afrique. En 2014, elles sortent le single et le clip à succès « River ». Le concept de la vidéo et le chant traditionnel Yoruba en hommage à la déesse Oshun qu’elles y ajoutèrent vont aider la nouvelle génération d’Africains à découvrir cette « Afrique » à l’autre bout du monde.

C’est assez impressionnant de réaliser que malgré 400 ans d’esclavage et de répression, les langues et les chants qui sont partis d’Afrique avec les esclaves ont réussi à subsister.

Oba Solomoni

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