Face caméra: l’interview croisée de trois noms du cinéma gabonais

Pour nos lecteurs Le Chant de Powê ouvre ses colonnes à trois visages des plus prometteurs du cinéma gabonais. Rencontre avec Franck A. Onouviet, Marc Tchicot et Olivier Messa

Le Chant de Powê : Franck A. Onouviet, Marc Tchicot et Olivier Messa, on vous connaît très peu, en dehors du dernier cité dont le visage rappelle la brève mais fabuleuse époque de « Miam-Miam ». Pour les lecteurs de Le Chant de Powê, pouvez-vous vous présenter ?

Franck A. Onouviet : Bonjour et Merci de nous donner l’opportunité de parler de notre travail. Je suis Chef Opérateur et Réalisateur, et comme dit un ami on produit quand ça va mal (rires). J’ai une formation en arts graphiques et réalisation documentaire. Paradoxalement j’ai appris sur le tas la fiction, et notamment grâce à Internet.

Olivier Messa : A l’état civil je suis Olivier Messa Essono, plus connu sous le pseudonyme de « Olveurs ». Je suis Scénariste et accessoirement comédien.

Marc Tchicot : Réalisateur, je fais un peu de Motion Design aussi (Animation graphique).

LCDP : Les uns et les autres, qu’est-ce qui vous amène au monde du 7e art ?

FAO : Sans le bac pas mal de portes se sont fermées et d’autres se sont ouvertes. Dont celle des arts. Et on ne peut pas nier l’influence des proches déjà présents dans le milieu artistique. Que ce soit la musique ou le dessin. 

OM : Pour ma part, c’est le hasard car j’avoue n’avoir jamais pensé à faire du cinéma un jour. C’était un monde qui était très loin de moi.

MT : Durant mon adolescence, TéléAfrica avait une excellente programmation en terme de cinéma : Les films de Scorcese, d’Akira Kurosawa ont été une révélation pour moi, ces après-midi devant ces chefs d’œuvre sont des souvenirs forts,  j’ai réalisé à ce moment-là le pouvoir du medium qu’est le Cinéma. Je me demande d’ailleurs aujourd’hui qui faisait cette programmation à l’époque…

LCDP : Quelles difficultés avez-vous rencontré avant d’intégrer ce milieu et de quels soutiens avez-vous bénéficié au sein de la corporation?

FAO : Difficultés je ne sais pas, mais lorsqu’on suit sa passion on rencontre forcément des obstacles. Et plus on est exigeant plus il faut travailler. Mais ça reste une passion. Le soutien, il vient de la famille et des proches. Ceux qui ne vous laissent pas abandonner ou choisir la facilité.

OM : Personnellement, je n’ai connu aucune difficulté. Mon apprentissage a commencé avec Alexandre Yotio et sa société Imag’in. Plus tard, c’est Fernand Lepoko qui m’a donné ma chance en tant que comédien dans son court-métrage Maléfice.

LCDP : Récemment, Marc Tchicot déclarait que dans ce domaine, les études étaient secondaires à la pratique. Cette affirmation n’est-elle pas valable que si on reste amateur ?

FAO : Il a raison : celui qui fait engrange de l’expérience nécessaire pour progresser. La pratique permet de connaitre les limites de la théorie. Après certains ont besoin de cadre et de l’environnement des études pour se lancer.

OM : Dans les métiers de l’image la pratique est la part la plus importante même s’il est vrai qu’on ne peut pas totalement se départir de théorie.  Le plus important en définitive c’est de bien travailler et de proposer des produits de qualité.

LCDP : Vous avez créé la structure Collectif Elizia, dites-en un peu plus à ce sujet.

FAO : Comme vous le dites si bien Elizia est une collection de courts métrages, une initiative spontanée pour répondre à des envies. Celles de voir certaines œuvres portées à l’écran.

OM : En guise de complément, disons que Elizia est le nom que nous avons donné à la collection de court-métrages que nous avons écrit, produit et réalisé avec le soutien et le concours de jeunes gabonais et gabonaises. Son objectif était assez simple : démontrer qu’on pouvait produire et réaliser de bons produits filmiques avec une organisation sérieuse et une synergie locale. Je crois que ce but a été atteint.

LCDP : Les trois courts métrages que vous venez de réaliser ont une forte résonance historique et politique : est-ce votre seul registre ?

FAO : (Rires) Non ce n’est pas notre seul registre il se trouve que c’est le premier qui nous a tous réunis. La voix des ancêtres leur appartient, on en est juste le véhicule.

OM : Effectivement, ce n’est évidemment pas nos seuls registres. Il se trouve juste que les aspects historiques et politiques de notre pays sont très peu explorés dans le cinéma gabonais. Nous avons donc trouvé opportun de traiter de ces thématiques pour édifier et montrer au public que le Gabon avait un passé et des pratiques politiques qui méritaient d’être interrogés. Pour répondre complètement à votre question je dirai que nous avons plusieurs cordes à notre arc et que nous ne sommes pas cantonnés aux mêmes registres.

MT : On a touché à un peu à tout je dirais, docu-fiction musical The Rhythm Of My Life, le thriller psychologique La Soif qu’on a tourné en 2017 à Paris.

LCDP : Makika contre l’humanité est une satire sociale et politique. Son message essentiel est-il de se moquer des élites corrompues et des politiciens arrivistes ?

FAO : Je laisse Marco répondre.

MT : Je pense, sans vouloir interpréter à la place d’Olivier qui en est l’auteur, que Makika dénonce quelque chose de plus vaste dans le sens où des « Makika » on en trouve dans toutes les couches sociales/milieux professionnels en dictature. C’est révélateur d’un peuple en crise aussi bien dans l’aspect socioéconomique que psychologique, ce dernier aspect étant trop souvent négligé malheureusement et c’est un peu le rôle du Cinéma. Je pense que c’est pour ça que le film a autant résonné avec le public.

OM : Effectivement, le message de « Makika contre l’humanité » n’est pas seulement de se moquer ou de tourner en dérision les élites politiques aux mœurs douteuses. Il s’agissait aussi de mettre en exergue les dérives qui sont observées dans le champ du pluralisme politique expérimenté au Gabon.

LCDP : Quelles impressions ce film a-t-il laissées lors de sa présentation à Ouagadougou par exemple ?

OM : « Makika contre l’humanité » n’a malheureusement pas été projeté lors du Fespaco à Ouagadougou pour des raisons diverses.  

LCDP : En se basant sur la figure héroïque et oubliée d’Emane Tole, au-delà de sa réhabilitation, s’agit-il aussi pour vous, de montrer cette race un peu perdue d’hommes fiers et pétris de convictions profondes ?

FAO : Un peuple qui ne connait pas son histoire ne peut avancer avec sérénité. Il est important quand c’est possible, de faire un travail de mémoire. Nous n’y sommes pas encore. Nous avons humblement, grâce à Olivier Messa, eu accès à des récits de notre histoire et avons mis en œuvre d’essayer de rappeler à qui veut savoir qu’on a un passé et une histoire riches faits de valeurs fortes portées par des femmes et des hommes courageux.

OM : Oui il y a un peu de ça. Il y a aussi qu’il était important pour nous de montrer aux générations futures que notre pays regorgeait aussi de modèles historiques sur lesquels on pouvait s’appuyer et dont on peut s’inspirer pour que l’oubli ne continue pas à siéger sur le trône de la mémoire.

LCDP : M001 évoque le sort cruel d’un cyberactiviste face à un régime oppresseur, est-ce une manière de montrer  à quel point les libertés sont encore confisquées à l’échelle du continent ?

FAO : Au-delà du continent, cette thématique est universelle. Partout dans le monde il y a des « sans voix ». Et lorsqu’on a la possibilité via notre art ou toute forme d’expression de leur donner une voix il ne faut pas s’en priver.

OM : Oui, il était aussi question de montrer à quel point les régimes politiques africains étaient complètement dépassés par l’avènement du cyberactivisme politique qui ne leur laisse pour seule réponse que la répression.

LCDP : Vos films sont traversés de références livresques et musicales : qu’est-ce qui motive ces choix ?

FAO : Olivier Messa est la personne indiquée pour répondre, il est l’auteur de toutes ces histoires. Il est un peu notre bibliothèque et historien dans ce projet (rires).

OM : Principalement c’est le souci d’avoir des œuvres de qualité et pas de simples « guili-guili culturels » truffés de références intellectuelles gratuites qui ne s’ancrent sur rien.

LCDP : Que faut-il attendre pour la suite, quels sont vos projets cinématographiques ?

FAO : On vous tiendra au courant le moment venu (rires). On ne dévoile pas tout d’un coup. Merci infiniment pour l’intérêt que vous portez à nos œuvres. Et merci d’avoir pris le temps avec nous d’en savoir plus.

OM : Je suis en train d’écrire pour différents projets. C’est encore secret mais le moment venu nous en parlerons.

 

Propos recueillis par Bounguili LPG

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