Enlèvement d’enfants au Gabon

Voici un autre moment où la parole officielle de l’Etat est en décalage avec celle de plusieurs citoyens gabonais. Le motif de la discorde : les enlèvements d’enfants. Parmi la population gabonaise, des familles crient à la soustraction de leurs mômes. Si quelques cas semblent relever des fausses informations, plusieurs parents n’en démordent pas ; un danger guette la petite jeunesse. D’ailleurs, l’opinion publique nationale et la diaspora furent sensibilisées au retour de ce fait de société par la circulation d’images. Des sorties sur les réseaux sociaux invitaient les parents à garder leurs enfants à la maison tant que l’Etat n’apporterait pas une réponse à cette préoccupation grandissante.

La version de l’Etat.

Voici plusieurs jours que des Gabonais vivent dans une inquiétude en attente de clarification. Le danger annoncé par les postes Facebook, les photos circulant sur les réseaux sociaux sont-elles vérité, interprétation maladroite ou spéculation malheureuse ? Dans toute société organisée, l’autorité ne peut ne pas prendre position. Surtout que dans le cas précis, l’affaire relève d’une question de sécurité des personnes. Pis de celle des êtres très souvent sans moyens de défense contre l’immoralité des adultes : les enfants.

Réaction de l’État par le biais du ministre de la communication, Anicet Mboumbou Miyakou. Le porte-parole du gouvernement, s’insurge contre ces informations « fausses » relayées sur internet. Le gouvernement ne reconnait que le cas du petit Anderson Rinaldi Abaga Ngoua âgé de 3 ans et déplore la plainte tardive des parents déposée à l’antenne provinciale de la police judiciaire de Bitam. Pour l’État, il n’y a pas de vague d’enlèvements d’enfants dans le pays[1]. A en suivre les mots du ministre, les pouvoirs publics ne peuvent apprécier une « vague d’enlèvements » puisque des plaintes officielles ne sont pas enregistrées dans les services compétents : police, gendarmerie, etc.

A qui devons-nous nous fier ? Des compatriotes qui chantent le danger permanent contre les mômes gabonais, dont les alertes sont renforcées par des photographies ? Ou se référer à l’Etat gabonais qui s’est voulu rassurant par la voix d’un ministre ?

Des citoyens persistent

Il se trouve que des citoyens gabonais n’en démordent guère. La version de l’Etat n’a aucun impact sur eux. Bien au contraire, elle suscite de l’incompréhension pour ceux qui lisent une véritable menace quotidienne au sein de la nation gabonaise. L’affaire ne perd pas en intensité. Moins d’une semaine après l’intervention du porte-parole du gouvernement, des vidéos ont succédé aux photos. On y voit un véhicule renversé et saccagé dans lequel « on aurait trouvé des corps d’enfants » ; une foule devant une habitation où « se trouverait » un individu pris en flagrante tentative de soustraction d’un enfant. L’espace public, via les réseaux sociaux, est envahi d’images qui ne rassurent pas. Au contraire, elles suscitent de nouveaux soupçons, sans apaiser ceux des premiers sceptiques. Il faut dire que dans ces vidéos des Gabonais parlent, ils crient leur colère. On y reconnait des endroits de Libreville, la couleur municipale affectée aux taxis.

Les faits sont têtus

Des historiens ont coutume de dire que les faits sont têtus. Traduction : ce qui est arrivé une fois peut ressurgir. Cette assertion est subtilement une invite à tirer les leçons du passé pour ne point revivre les mêmes désagréments. Or, c’est ici que les pouvoirs publics gabonais surprennent. Depuis plusieurs années, des morts suspectes font la preuve d’une criminalité à finalité occulte. Des atrocités sont perpétrées sur des personnes destinées à nourrir des pratiques obscures et malsaines. On a mainte fois retrouvé des corps sans appareil génital, sans yeux, sans langue… Ce type d’assassinat a reçu le nom de « crime rituel ».

Le phénomène était tel que Jean Elvis Ebang Ondo publia Le manifeste contre les crimes rituels au Gabon. Des protestations d’un écho inégal eurent lieu partout dans le pays. Les plus retentissantes furent celles de Libreville (la capitale). Et pourtant, sans trop que les motivations soient claires pour tous, des voix officielles optèrent pour l’expression « crime de sang » au lieu de « crime rituel ». Qu’est-ce que cela voulait-il dire ? Quelle différence voulaient-elles signifier ? Bref.

Qu’à cela ne tienne les corps, les familles des victimes, des survivants de ces actes ignobles témoignaient de la véracité des plaintes des populations. Une association de lutte contre les crimes rituels voit le jour sous la présidence du même Jean Elvis Ebang Ondo. Les « crimes rituels » sont bel et bien une réalité gabonaise mise en perspective avec la magie la plus néfaste. Pour preuve, sur le site d’Africa Radio, on peut encore trouver un article rapportant les informations du quotidien gouvernemental gabonais l’Union. Cet article traite de la condamnation de deux Gabonais pour le meurtre et la profanation du corps d’Achille Obiang Ndong. En espérant une somme[2] promise par un ancien baron du pays. Henry Bengone B’Evouna reconnut avoir tué au fusil la victime quand Gerard Mba Eyime s’occupa de prélever sa langue, ses doigts, les orteils[3].

Les Gabonais n’affabulent pas. Des individus à l’éthique corrompue prennent plaisir à tuer et à priver des corps de leurs parties. Au Cameroun voisin, le défunt universitaire Charles Ateba Eyene, après Jean Elvis Ebang Ondo, faisait le même constat. Il attira l’attention des Camerounais sur des crimes odieux toujours en lien avec l’occultisme. Il publiera l’ouvrage : Crimes rituels, loges, sectes, pouvoirs, drogues et alcools au Cameroun : les réponses citoyennes et les armes du combat (2013). Ce dernier fait suite à un autre texte publié en intelligence avec Messanga Nyamding et André-Marie Yinda Yinda intitulé : Le Cameroun sous la dictature des Loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux : de véritables freins contre l’émergence en 2035 (2012).

Tout ceci rend la réaction de l’Etat étonnante. Comment peut-il se montrer si mesurer devant des affirmations grandissantes quand on sait que le pays avait déjà fait l’expérience de situation tout aussi macabre ? Les dirigeants gabonais doivent savoir que de nombreux Gabonais ont en mémoire des épisodes douloureux et tragiques. N’oublions pas que plusieurs consciences gabonaises restent profondément marquées par « la voiture noire ». Un véhicule qui enlevait des enfants durant le début des années 1990.

On aurait pu attendre des investigations poussées sur le terrain pour infirmer ou confirmer les craintes des citoyens plutôt qu’une simple communication gouvernementale fondée sur la base d’absence de plaintes officielles. L’Etat ne doit-il pas se montrer intelligemment sensible à toute inquiétude persistante pour dissiper les malentendus, les doutes ou prévenir des éventuels désagréments ? La vérification rationnelle sur le terrain, rien de tel pour avoir une vue éclairée d’une quelconque circonstance.

La justice populaire

On peut dire sans trop se tromper que les mots du gouvernement n’ont pas rassuré les populations. Des dires alarmants continuent de rythmer le quotidien de plusieurs quartiers de la capitale. Tout ceci s’accompagne de photos et de vidéos. On annonce des protestations dans un secteur des PK où deux enfants « se seraient » fait enlever. Les habitants pris d’exaspération « auraient barré » la route. Une vidéo montre des adolescentes en tenue scolaire en pleurs affirmant avoir assisté à un enlèvement. Nous vous faisons l’économie des audios. Le bouche à oreille, les vidéos, les photos, des enfants disparus… La colère de beaucoup monte. Les commentaires commencent à se durcir.

Nous y sommes, la justice populaire s’invite. Nous ne nous en réjouissons pas car elle peut se montrer injustice pour des individus estimés coupables alors qu’il n’en est rien. Deux vidéos, des photos, encore et encore. On y voit des passages à tabac. Des populations semblent avoir pris les mesures contre ce phénomène. On y lit l’exaspération, la frustration de ces hommes et femmes très souvent acculés par la misère qui doivent en plus compter ou craindre de compter des morts parmi les leurs. Ils ne se montrent plus compatissants tout en devenant foule irritée.

Lorsque nous écrivons la fin de ce propos, un média en ligne, info241, évoque des mesures prises par le gouvernement qui promet des contrôles des véhicules, des présences policières devant les écoles et ailleurs. Ces mesures sont à saluer bien qu’un tardives à notre goût.

Toujours agir avant la justice populaire.

Il est important d’agir avant la justice populaire si l’on veut éviter des scènes de lynchage. Aujourd’hui, on nous annonce la mort d’un innocent victime de justice populaire. En partant du principe que cela est avéré, la responsabilité n’est pas seulement à porter à l’actif de ceux qui ont porté les coups. Qu’a-t-on fait avant pour répondre aux peurs des populations ? Un tel phénomène peut-il être uniquement le fruit de l’invention ou de la psychose ? Pourquoi les populations ressentent le besoin de se faire justice sans recourir à l’Etat ? S’il n’y a pas disparition d’enfants pourquoi toutes ces photos présentes sur les médias sociaux ? Toutes relèvent-elles de la fake news ?

Jusqu’à démonstration du contraire, l’inquiétude et la colère règnent chez certains. Toute chose qui n’augure rien de positif.

[1]             A lire su Gabon Média Time : https://www.gabonmediatime.com/anicet-mboumbou-miyakou-il-ny-a-pas-de-vague-de-disparitions-denfants-au-gabon/ (Consulté le 25/01/2020).

[2]             La somme précise est de 800.000 Fcfa.

[3]             https://www.africaradio.com/news/gabon-deux-executants-d-un-crime-rituel-condamnes-a-la-prison-143885 (consulté le 25/01/2020).

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