Tris : Couronne et Foulard, itinéraire d’un digne héritier

Figure majeure du rap gabonais actuel, Tris est l’auteur d’un récent projet musical baptisé Couronne et Foulard . Le Chant de Powê vous propose un aperçu de son contenu tout en vous invitant à découvrir la plume d’un nouveau chroniqueur.

Depuis bientôt cinq mois, à chaque fois que j’ouvre mon application Deezer, je tombe sur l’album du rappeur gabonais Tris et je n’y donne pas plus d’attention. C’est un rappeur que j’ai découvert au milieu d’un clash et donc j’avais une idée très négative de lui dans mon esprit. Au bout de 3 mois à le voir pour je ne sais trop quelle raison dans mes suggestions d’album à écouter, je me suis dit que je devais certainement essayer de l’écouter.

Je l’ai écouté et réécouté toute la nuit et je dois avouer que j’ai reçu une vraie claque. Je m’en veux tellement de ne pas avoir écouté ce projet plus tôt. C’est donc un peu pour essayer de rattraper mon erreur que je vais partager avec vous mes impressions par rapport à ce disque.

L’album s’appelle Couronne & Foulard et déjà le titre nous informe de l’univers rempli de dualité qu’on s’apprête à découvrir. Ensuite on est frappé par la pochette sur laquelle est représenté un Tris divisé en deux. Ce visuel est très pertinent et mériterait qu’on s’y attarde mais ce sera pour une autre fois. C’est un projet de 12 titres qui nous transporte dans ce qui pour moi représente la culture de toute la jeunesse francophone.

On démarre l’album avec « Triste » qui est en fait un sample du tube « Nkéré » du légendaire Pierre Claver Akendengue. Une ouverture d’album plutôt sympa, même si je trouve que le sample prend trop de place et que les mots de Tris sur la production finissent par se perdre. Le deuxième track de l’album est encore construit autour d’un sample et là il s’agit d’un classique du très grand Mackjoss. La force avec laquelle il monte sur la production est assez impressionnante et surtout très captivante. Tris nous donne littéralement envie de découvrir la suite. Très Afro-Pop, « Reste Tranquille » est le titre qui ressemble beaucoup à ce qui se fait de tendance sur la scène africaine francophone. On y découvre un Tris qui parle d’amour et le titre se fond plutôt bien dans l’ensemble. Tout juste après on arrive sur « Riche ». D’abord très heureux d’entendre le sample d’une chanson de la vocaliste Annie-Flore Batchiellilys, mais la légèreté de la production rend le tout finalement moins intéressant. N’empêche que le texte reste vraiment bien écrit. L’écriture est définitivement le point fort de Tris et c’est remarquable sur des titres comme « Etoile », « Astronaute » et « Derrière l’École Normale ».

Sur ces titres on est transporté par des textes très intimistes portés par un flow qui rappelle le rap français du début des années 2000. Le titre le plus surprenant de ce disque reste « Engrenage ». J’étais quasiment choqué d’entendre ce sample de l’incontournable « Paléa » de la chanteuse ivoirienne Dobet Ghahore. Encore plus incroyable, la cohérence du texte qui s’arrime parfaitement avec le classique de la diva. C’est de loin le titre le plus abouti de l’album. On aurait dit que cette chanson n’attendait que Tris. Sombre et coloré par des rythmes tribaux, « Bon Goût » est un titre efficace qui parle d’amour. J’ai adoré le clin d’œil à Angélique Kidjo autre grande voix de la musique africaine. Tris est accompagné par le rappeur camerounais Sojip qui livre une performance remarquable et réussit à être toujours autant captivant. On reste avec Tris le lover sur le titre « Nana ». C’est tout aussi sombre et tribal. Il dit son amour de la femme. Le tout est assez particulier car le contraste entre cette production sombre et ce texte qui parle d’amour révèle comme une certaine pudeur de la part de l’artiste. Vers la fin, on se retrouve avec « Zombie ». Un titre sur lequel on entend le son de la belle cithare gabonaise qui nous fait naturellement penser au Pape du Hip-Hop gabonais Lord Ekomy Ndong. Il y a un décalage très assumé entre le refrain qui est plus rythmé, qui sonne comme de l’Afro-Trap et les couplets qui sont plus posés et portés par cette mythique cithare. L’album se termine avec « Insaisissable ». Il s’écoute sans problème mais je le trouve un peu déconnecté du reste de l’album. Pour moi, c’est la seule fausse note de ce projet.

Couronne & Foulard est un album qui a été pensé et construit, il ne s’agit pas d’une simple aventure. Il y a vraiment une histoire qui est racontée et un concept qui est bien mené et assumé. Ce projet reflète parfaitement les réalités musicales, économiques et socio-politiques de la jeunesse de l’Afrique francophone. Les textes sont réfléchis et bien écrits. Artistiquement, il y a un vrai travail de recherche et envie de faire réfléchir. Rien n’est laissé au hasard. Du nom de l’album au tracklisting en passant par la pochette, tout a du sens. Il s’agit sans aucun doute de l’album gabonais ayant la meilleure direction artistique en 2020. Tris à de la culture et un besoin flagrant de représenter et rendre hommage aux ainés. C’est en ce sens qu’il mérite cette Couronne et ce Foulard. Il est l’héritier !

Oba Solomoni

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