Esclandre ou esbrouffe littéraire : à propos de Ali bongo la grande désillusion de J. Otsiemi.
S’il est une raison de nommer « essai » cet ouvrage de Janis Otsiemi, c’est uniquement qu’on reconnaîtra à ce dernier le mérite de s’essayer, de sortir de sa zone de confort fictionnelle. De là à dire que l’essai a été transformé, c’est une autre paire de manches.
Ces derniers mois, Janis Otsiemi a dit, à hue et à dia et à qui voulait le lire sur sa page Facebook, qu’il était l’objet de menaces tous azimuts de la part d’une main obscure voulant le faire taire, au propre comme au figuré et ce par les moyens les plus peccamineux.[1] Notre ancrage intellectuel se situe forcément de son côté si tout cela est fondé et ne relève pas d’une énième esbrouffe. Tant il est vrai qu’au pays de Ndouna Dépénaud, on investit des efforts conséquents à museler à tout va plutôt que de jouer son va-tout pour l’intérêt général.
Cela dit et pour revenir à ce qui nous préoccupe, posons d’emblée la question : est-ce réellement à cause de ce livre Ali Bongo. La grande désillusion (2009-2019) que l’on menace le romancier gabonais? Si tel est le cas, preuve est davantage faite que ce pouvoir ne lit pas sinon il se serait rendu compte qu’au-delà de son titre, le livre est davantage une esbrouffe qu’un esclandre littéraire. Tout ce qui y est écrit est loin d’être de l’ordre de la révélation inédite, scandaleuse ou outrageuse. A quelques nuances et détails près. Du style à l’intérêt général de l’ouvrage, nous en donnons ici ce qui constitue ses traits saillants.
Un style poussif
À propos de la forme, il n’est pas utile de s’attarder sur le style de ce livre écrit dans une langue comme qui dirait « dégraissée jusqu’à l’os » (Onfray) d’où la lecture parfois tortueuse assimilable au fait de pousser un brabant défectueux. Pour éviter que la chronique prenne un tournant lolesque, disons que la syntaxe alambiquée où s’acoquinent pléonasmes et autres tournures obscures, déleste l’ouvrage de sa crédibilité autour d’un sujet loin d’être dénué d’intérêt. Parfois, on se surprend en train de lire du nouchi tant les noms, gaillardement, se promènent souvent dans l’œuvre sans leurs déterminants. Les phrases quant à elles sont construites au rythme d’une guimbarde se risquant sur le fabuleux réseau routier gabonais. Autant d’éléments qui nous amènent à dire, sans exagérer, que le lecteur lira ce livre comme un vieillard loqueteux émettant à la fois un hoquet assorti de quintes de toux : poussif. On l’aura compris, du point de vue du style, eu égard à cette œuvre, le « roi du polar » est loin d’être un polard.
Du programme paradoxal au hors-sujet
À en croire le titre de l’ouvrage, l’on s’attend évidemment à un bilan de l’action politique d’ali bongo d’autant que s’il est question de « désillusion » celle-ci se fonde forcément en rapport à une illusion (promesses de campagnes, réalisations, Gabon émergent, et tutti quanti). Par ailleurs, l’auteur a bien pris soin de borner sa réflexion, laquelle se situerait entre 2009 (année d’accession du « fils putatif » (sic) au pouvoir et 2019 (3e année de son second mandat). En clair, il s’agit a priori de lire ou d’analyser dix années d’exercice du pouvoir. L’horizon d’attente est donc celui-ci : cherche-t-on à comprendre l’homme ou son action politique? Les deux à la fois? A ces interrogations, l’écrivain nous livre une surprenante et non moins paradoxale réponse de son programme d’écriture : « Ce livre n’est pas une autobiographie d’ali bongo (…) encore moins un bilan comptable des dix années au pouvoir d’ali bongo » (p. 9). Le dévoilement de ce paradoxe a tout d’une mystification : pourquoi ne pas faire de bilan quand le titre annonce une désillusion et situe cette désillusion dans une borne chronologique (2009-2019)? Pourquoi esquiver ce qu’énonce le titre alors que l’auteur interroge lui-même précédemment : « Comment en est-il arrivé là? » (p. 8) et emploie même l’expression « Bilan mitigé » (p. 8) pour qualifier la gouvernance d’ali bongo? Ce paradoxe débouche sur un évident hors-sujet. Tant et si bien que tout en s’en défendant, Otsiemi nous replonge dans l’histoire politique du Gabon et se livre à des hagiographies à n’en plus finir. Ainsi, aux trois quarts du livre, il est davantage question des arcanes de la vie politique du Gabon que d’ali bongo. Or, pour ce qui nous concerne, deux affirmations sortent du lot. Tout d’abord, en matière de gestion, Otsiemi ne s’y trompe guère : « Au final, Ali Bongo, c’est Omar Bongo en pire! » (p. 103). Nul besoin d’être une éminence grise pour le dire et c’est ce que ce livre aurait dû analyser, étayer et illustrer. Ensuite, dans le contexte d’aboulie qui annihile l’action politique d’ali bongo, la question de sa succession ou non se pose forcément. D’où cette interrogation pertinente à laquelle Janis Otsiemi aurait dû esquisser une réponse ou un pronostic : « Nourredin Bongo pêchera-t-il à la ligne pour laisser à son père, Ali Bongo, le soin de se remettre de son AVC survenu le 24 octobre 2018 et de briguer un troisième mandat ou passera-t-il le Rubicon en 2023 ? » (p. 119).
A la source des sources
Pour essayer de donner à l’ouvrage un certain poids, Janis Otsiemi se réfère à des sources dont quelques-unes valent le détour (L’État au Gabon ou encore J’assume). Là où le bât blesse c’est que l’auteur s’y est agrippé au point d’en faire des valeurs cardinales. Cité à près de quarante reprises, le prétendu journal panafricain Jeune Afrique semble constituer pour l’écrivain une des lectures qu’il tient en très haute estime… Aussi, fidèle à ce qui semble être une de ses sources d’inspiration, Janis Otsiemi abreuve son lecteur des citations d’ouvrages de Pierre Péan. Autant de sources, censées conférer à l’œuvre une apparente caution intellectuelle. Mais répétées à l’envi, les sources arrivent à peine à sauver les meubles.
Un effort intellectuel à saluer
S’il est une raison de se réjouir de cet ouvrage, c’est qu’il s’inscrit qu’on le veuille ou non dans ce que nous considérons comme l’urgence littéraire du moment : traduire notre époque. Ses agitations, ses moments et bégaiements historiques, les jeux politiques mafieux où l’élite leurre le peuple, la félonie généralisée érigée en patriotisme, la quête enivrante de la réussite personnelle, etc. toute chose qui amènerait d’autres générations à s’inscrire en dehors de cet héritage vicié. L’ouvrage brille par son volontarisme et aussi par sa valeur didactique : loin des ouvrages spécialisés, savants et pédants, il s’efforce de rendre compte d’une histoire contemporaine aux contours sinueux, tumultueux et obscurs : la toile de fond d’un régime dictatorial et son organigramme historique. L’élève de secondaire trouverait là des éléments enrichissants pour sa gouverne afin de mieux se saisir des enjeux politiques qui influencent sa vie quotidienne.
Toutefois, venant de cet écrivain stipendié, on aurait pu s’attendre à un cheminement intellectuel révolutionnaire même en guise de résipiscence. Mais en lieu et place, l’ouvrage donne parfois l’impression de n’être qu’une une énième œillade d’un agioteur. Et l’on est parfois traversé par l’idée que l’écrivain jdanovien de jadis, usurpe sa posture de rebelle à travers cet ouvrage qui n’est semble-t-il qu’une maladroite tentative de se dédouaner (ou de s’attirer les faveurs du prince?) en jouant au Péan des tropiques après avoir servi de caution au pouvoir pourtant abhorré par les Gabonais…
Dans le sérail littéraire gabonais suranné, pour mieux esquiver les questions de fond, l’on a pris ce paresseux plaisir à réciter une antienne lorsque la critique accule un ouvrage et/ou son auteur : on ne jette de pierres, pérorent-ils, que sur un arbre qui porte de bons fruits. Pour ce qui nous concerne, nous sommes au pied de l’arbre Janis Otsiemi attendant patiemment qu’en tombe l’esclandre littéraire en guise du plus succulent des fruits. Est-ce ce qui nous attend dans son prochain ouvrage Ces Grands malades qui nous dirigent ? Qui vivra lira. PUISQU’IL FAUT LIRE.
Le Presque Grand Bounguili
[1] Lire à ce propos : https://www.jeuneafrique.com/1012374/politique/gabon-janis-otsiemi-aux-frontieres-du-reel/?utm_source=facebook.com&utm_medium=social&utm_content=jeune_afrique&utm_campaign=post_articles_facebook_09_07_2020&fbclid=IwAR2nnDlNz0y2jCRHHmYIqsBND-HyRo_Q4lySW8ZtCv_llbIdNQhskW4tpNI
Crédit photo : Jeune Afrique